A Jorf Lasfar, un énorme pan de falaise menace de s’écrouler

Des installations portuaires en péril ?
Des mesures de précaution sont a prendre.

Le paysage est superbe, le long de cet étroit sentier qui longe la falaise de Jorf Lasfar, en parallèle a la route côtière qui, depuis Sidi Bouzid et Moulay Abdallah mène au port. La mer, en bas, beaucoup plus basa plusieurs dizaines de mètres, donne le vertige. On se sent happé par les vagues. Quelques pêcheurs s’y aventurent dans leurs frêles embarcations qui paraissent si petites de la–haut.Et, le cœur bien accroché, quelques pêcheurs, de la-haut, plongent leur hameçon dans le vide, avec le bruit sec du plomb qui cogne l’eauLe coin est réputé pour les prises qu ils y fontDe temps en temps, du moins. Au loin, les fumerolles des cheminées de la Centrale thermique marquent un territoire qui grouille d’activitésEt des porte-conteneurs attendent, au large, une autorisation d’accès. c’est vrai que Jorf Lasfar passe pour être le plus grand port minéralier d’Afrique, et les travaux que l’on y fait actuellement pour allonger les digues et les quais témoignent de l’ampleur que ce port prendra dans peu de temps.

La falaise semble être la de toute éternité, dans son jaune si particulier qui a donné son nom a l’endroit : « Jorf Lasfar, les falaises jaunes ». On y lit les pages du temps sur sa découpe, et l’on a l’impression qu elle a encore une autre éternité devant elle Pourtant, la, pas très loin du phare de Cap Blanc, on est saisi d’effroi. Une faille béante. Une échancrure qui s’étale sur plus de soixante mètres de longueur et une quarantaine de mètres de profondeur.Jusqu a l’assise. Un abîme! Impossible de regarder au fond tant c’est impressionnantAvec un bloc de près de dix milles mètres cubes de roches en équilibre fragile qui menace de basculer dans l’océan. Des dizaines de milliers de tonnes !

Bouchaib, un vieux berger, emmitouflé dans son burnous couleur de terre, est la, au milieu de son maigre troupeau de moutons. On se demande si c’est bien son troupeau qu il surveille ou plutôt cette faille géante « Tu sais, me dit-il, des fois j ai l’impression que, demain, lorsque je reviendrai ici, l’endroit aura disparu. Regarde, la faille est maintenant large de plus de trois mètres et demi, et on dirait qu elle s’amplifie de mois en mois, centimètre par centimètre ; malgré mon âge, j ai peur quelques fois. Qu est-ce qui se passera lorsque la falaise s’écrasera dans la mer ? » Bouchaib se tait, semblant déja s’abriter d’un cauchemar.

Mustapha, le gardien du phare, a vécu lui aussi sa part de cauchemar, quand, il y a tout juste six ans, par un midi de mars, après quelques journées de grosse mer, alors qu il pêchait tout a côté, il entendit un grondement sourd venant du plus profond de la terre, suivi d’un immense nuage de poussière rouge Avec ses copains pêcheurs, Nourredine et les autres, ils ont vu la terre craquer et s’entrebâiller l’enfer semblait s’ouvrir devant leurs yeux effrayés… Alors, dans votre rêverie de promeneur solitaire, vous échafaudez des scénario : Une telle masse de terre ne peut qu irrésistiblement s’effondrer quand le centre de gravité d’un tel colosse chavirera de l’autre côté. Qui peut en prévoir la date, si jamais cela se produit ? Mais qui peut dire que cela ne se produira pas ? En tout cas, si la falaise s’effondre d’un seul bloc, c’est s»r, ça fera des vagues. De grosses vagues. Un mini-Tsunami. l’hiver, par temps mauvais, de puissantes vagues de plus de 4 mètres de haut viennent se fracasser contre les parois de la falaise Imaginez des coups de massues de plusieurs tonnes contre une façade fissurée, combien de temps tiendra-t-elle avant de céder ?. Des bateaux risquent alors d’être chahutés, et peut-être quelques installations malmenées et des vies emportées ? c’est certes un scénario catastrophe. Mais sur place, au bord de la faille, on comprend mieux le danger. Et la peur – ou le vertige – de celui qui s’aventure dans ces parages.

De l’avis de spécialistes, des mesures de précautions devraient être prises au plus tôt et des études menées pour savoir comment faire sauter (ou imploser ?) ce pan de falaise avant qu il ne s’effondre de lui-même. Une forte houle, un hiver violent, les vibrations des voitures qui s’en approchent toujours trop, un petit séisme comme le Maroc en a vécu cette année ; bref, presque un rien pourrait provoquer une catastrophe dont on peut mal mesurer les effets. Mais conjurons le sort ! Il n’est pas trop tard. Pas encore trop tard. Mais pour combien de temps encore !

Reste que ce cas n’est pas unique Cette falaise de Jorf Lasfar menace a d’autres endroits, de façon moins spectaculaire, certes Mais d’autres falaises, d’autres portions du littoral, dans d’autres régions du Royaume,entre Oualidia et Safi par exemple, sont aussi menacées. Il nous reste, a chacun d’entre nous, d’être vigilant. l’avenir de l’homme passe par la protection de son environnement.

Michel Amengual