A la recherche de la relation perdue, l’intellectuel et l’élu a El Jadida

Il y a une douzaine d’années déja, j étais en visite familiale en France, dans la région parisienne, et, profitant de mon voyage, j ai pensé rendre visite au maire de la petite ville où je séjournais: Le Vésinet. Commune résidentielle située dans l’ouest parisien. Charmante, agréable et où des personnalités du monde de l’art et de la culture ont vécu.

Ayant pris au préalable rendez-vous auprès de la secrétaire du maire, j ai fait savoir que le but de ma visite était de connaître certaines spécificités historiques et géographiques de la ville. Au moment du rendez-vous, je fus reçu par le maire en personne auquel je me suis présenté comme écrivain marocain passionné par l’histoire locale. Le maire se mit debout et m expliqua sur la carte de la ville accrochée au mur de son bureau tout ce que je voulais savoir. Nous avons discuté pendant plus d’une demi-heure sans que personne ne nous dérange et, sachant que j étais écrivain, il m a cité presque tous les noms d’écrivains, de cinéastes, et d’artistes originaires ou ayant résidé dans son agglomération comme le célèbre Jean-Marais, héros de la série Fantomas dont les cinéphiles jdidis de ma génération ont suivi les épisodes au cinéma Dufour.

Depuis lors, une question ne cesse de me tarauder: comment ce maire français a-t-il bien voulu me consacrer autant de temps pour me parler de sa ville alors que je n’étais qu un écrivain étranger? Quelle motivation pouvait expliquer son attitude ? était-ce un comportement lié a la culture occidentale d’ouverture et d’échanges ou était-ce simplement de la communication institutionnelle? Ou était-ce pour toutes ces raisons?

J évoque cet exemple alors que le Maroc’est en période de réflexion sur le projet de régionalisation prônée par la nouvelle Constitution de 2011. Si l’Etat fait des efforts louables dans le sens de la réflexion et de la préparation, la question qui se pose est de savoir siles élus dans les régions sont prêtspour faire réussir l’expérience attendue ? Connaissent-ils l’histoire, la géographie et les spécificités de leur région ou se contentent-ils d’y circuler en voiture? Certains parlent de la lenteur de l’Etat dans la mise en œuvre du projet de régionalisation mais l’Etat a raison de prendre le temps nécessaire a la réflexion. l’une des principales difficultés, a mon sens, tient aux élus eux-mêmes: seront-ils a la hauteur?

Au Maroc, la relation de l’élu avec l’intellectuel et avec la culture en général soulève beaucoup d’interrogations. Les réponses demeurent hésitantes. Néanmoins, il n’est un secret pour personne que la plupart de nos élus n’ont aucune relation avec la culture et sous-estiment son importance. Très manifestement, ils ignorent la chose culturelle. Je comprends qu on puisse être indifférent a la culture en tant qu individu mais doit-on l’être si on prétend représenter les habitants d’un quartier ou d’une ville?

A titre personnel, depuis une vingtaine d’années que je me consacre a l’écriture de l’histoire d’El Jadida, jamais un président du conseil municipal n’a exprimé le souhait de me parler culture ni de m inviter pour débattre ou connaitre mon point de vue sur la chose culturelle locale. Je peux même affirmer que beaucoup d’élus n’ont jamais lu mes ouvrages sur la ville, ni peut-être ceux de mes collègues. Ne parlons pas de les acheter car il semble que l’habitude soit prise de tout acheter sauf le livre considèré comme une marchandise gratuite. Il y a en effet de quoi être perplexe quand le chercheur compare cette attitude négative envers la culture a celle très positive et dynamique de l’élu étranger dans son pays.

Un jour de l’année 2006, on me téléphone de la municipalité d’El Jadida me demandant d’apporter une dizaine d’exemplaires de la première édition de mon livre sur la communauté juive. Je remets au président du conseil le paquet de livres avec la facture et il m informe qu il va se rendre en France et qu il offrira ces exemplaires a ses interlocuteurs. Aujourd hui, huit ans plus tard, la facture n’est toujours pas honorée.

Autre exemple: dans la ville d’El Jadida, existe une ruelle où je passe souvent. Elle se trouve au centre-ville, derrière la poste, c’est la rue Redman. Un jour je m aperçois que l’ancienne plaque a été enlevée et que cette voie porte désormais le nom très banal de «rue de la Poste». Certainement le conseil municipal a pris cette décision car, pour lui, le nom de Redman ne voulait rien dire. Alors qu il s’agissait d’une très ancienne famille de consuls britanniques a Mazagan. Il ne faut pas oublier que la colonie britannique a El Jadida est des plus anciennes. Le cimetière anglais existe toujours a El Jadida et l’un des Redman y est d’ailleurs enterré depuis 1896. Tout cela est écrit noir sur blanc dans le livre que j ai consacré en 2011, a l’histoire consulaire de la ville durant deux siècles.

Il faut savoir qu un nom anglais sur une rue d’El Jadida a une portée très symbolique, pas seulement pour nous mais aussi pour nos interlocuteurs des pays avec lesquels nous avons des relations et des échanges. Un simple nom étranger sur une ruelle peut montrer l’ancienneté des liens qui unissent le Maroc aux autres pays du monde. Il peut contribuer aussi au rayonnement d’une ville comme El Jadida qui était considérée, a une certaine époque, comme la porte ouverte vers l’Europe. Il ne s’agit pas de changer un nom étranger par un nom local, il s’agit de voir ce que la ville peut gagner par ce petit signe d’ouverture en termes de mémoire, d’histoire, d’économie et de tourisme. Un groupe de touristes britanniques ou une délégation municipale de Londres en visite dans notre ville seraient émerveillés de voir que d’anciens ressortissants de leur pays avaient déja des liens privilégiés avec notre ville. Et ces personnes peuvent elles-mêmes relayer ce qu elles ont vu une fois de retour dans leur pays.

«Rue de la Poste», croyez-vous que ce nom puisse interpeller un passant ?
Maintenant, a titre collectif, voici un autre exemple: malgré l’existence d’une section locale de l’Union des Ecrivains du Maroc (UEM) dont je fais partie, jamais un président du conseil municipal n’a invité notre bureau pour débattre des choses de la culture et des moyens pour en garantir le bon développement. Auparavant, le bureau de l’UEM a, par courrier, fait une proposition au conseil municipal pour une collaboration afin de créer une entité documentaire sur la ville. La proposition n’a donné lieu a aucune suite. La culture semble vouée ici au rôle de l’enfant pauvre, éternellement?
Méditons ce propos de l’écrivain tchèque Milan Kundera qui écrivait déja en 1979: «La culture, c’est la mémoire du peuple, la conscience collective de la continuité historique, le mode de penser et de vivre. Les livres et les tableaux ne sont que les miroirs où cette culture profonde se reflète, se concentre, se conserve.»

Lors des différentes campagnes électorales passées jamais un prétendant a la présidence du conseil municipal de la ville n’a reçu le bureau local de l’UEM pour un fructueux échange de vues sur des sujets où il pouvait apporter son éclairage. n’y a-t-il pas toujours plus d’idées dans plusieurs têtes que dans une seule?

Le bureau local de l’UEM organise annuellement a El Jadida une douzaine d’événements ayant un lien avec l’histoire de la ville ainsi que des rencontres avec des écrivains Marocains et étrangers. Selon notre constat aucun élu n’a assisté, un jour, a nos activitésDésolant.

Mustapha Jmahri
Eljadida.com

Auteur/autrice