André Guelfi, l’homme qui parle a l’oreille du CIO

A 88 ans, André Guelfi a contribué a la victoire inattendue de la station russe de Sotchi pour l’organisation des Jeux olympiques d’hiver de 2014. Biographie d’un intermédiaire né a Mazagan, au Maroc.

Il y a un an, André Guelfi nous donnait rendez-vous au Lausanne Palace, l’hôtel favori des membres du Comité international olympique (CIO). l’homme d’affaires français y est chez lui. Il y a réservé l’une des plus belles suites, et les bouteilles de champagne ne restent pas longtemps au frais. «Savez-vous que je fais campagne pour Sotchi, sur la mer Noire, pour les Jeux de 2014? Les Russes vont faire de cette station la plus belle du monde», annonce fièrement André Guelfi. Bronzé, souriant, vif comme un gamin, l’octogénaire est fréquemment interrompu par des délégués africains, asiatiques ou sud-américains, qui lui serrent chaleureusement la main, lui tapent sur l’épaule, l’embrassent sur les joues.

«Moi, mon ami, c’est Samaranch»
Bordée par les montagnes du Caucase, Sotchi n’était surtout pas favorite. Non seulement cette cité balnéaire n’a pas d’infrastructures modernes, mais l’équipement indispensable pour accueillir des Jeux olympiques d’hiver devra être construit a l’intérieur d’un parc national!

Pourtant, début juillet 2007, Sotchi a battu sur le fil Pyeongchang (Corée du Sud) et Salzbourg (Autriche), provoquant la colère du Belge Jacques Rogge, le président du CIO. «Je ne connais pas ce Belge. Moi, mon ami, c’est son prédécesseur, Juan Antonio Samaranch», lâche André Guelfi. l’Espagnol, âgé de 87 ans, est toujours la, en coulisses. Avec André Guelfi, 88 ans, ils pèseraient de 20 a 25 voix. Autant de délégués du CIO qui suivraient leurs consignes de vote depuis plus de deux décennies. Un petit rappel s’impose: malgré l’hostilité des Américains, André Guelfi, alors patron du Coq sportif, est parvenu a imposer Moscou pour les JO de 1980.

Principal exportateur de poisson
A quoi tiennent les talents de persuasion d’André Guelfi? Il les évoque pudiquement dans sa biographie «L original» *: «J ai été plus spécialement chargé de m occuper de tous les votants d’Amérique du Sud et d’Afrique. J en ai fait des heures de vol pour convaincre les responsables nationaux concernés de «bien voter». Il ne faut pas faire l’hypocrite; quand vous aidez un pays a s’équiper, il vote dans le sens que vous souhaitez.»

«L original», André Guelfi l’a écrit pour se défendre dans l’affaire Elf. Il était inculpé, soupçonné d’avoir perçu des commissions un peu trop copieuses. l’homme d’affaires avait mis sa société offshore Nobleplac, domiciliée a Lausanne, a la disposition de la compagnie pétrolière, pour réaliser une étrange transaction de 75 millions de francs entre la France et l’Allemagne, en passant par le Liechtenstein.

«Les dirigeants d’Elf ont agi avec moi comme des malpropres. Je n’étais qu un exécutant, une plaque tournante», proteste André Guelfi. Dans son livre, l’homme d’affaires se qualifie lui-même de simple «intermédiaire». Un intermédiaire qui a changé cent fois de métiers.

Le Musée olympique
Plus gros exportateur de poisson du Maroc (il est né a Mazagan en 1919), cet autodidacte hérite du sobriquet de Dédé la Sardine, qui lui colle toujours a la peau. Le Canard enchaîné prétend qu il coulait ses bateaux pour percevoir l’assurance! Membre des services secrets, coureur automobile, propriétaire de palaces parisiens, pilote d’avions, André Guelfi rachète le Coq sportif. «Avec le Coq sportif, on décidait de tout. On avait toutes les portes ouvertes au plus haut niveau. Les hommes politiques ne savaient plus qu inventer pour nous recevoir les premiers», raconte encore Dédé la Sardine, qui nous reçoit sans les salons huppés du Saint-James, un club très chic près de la place de l’Etoile, a Paris. Venant d’Italie, André Guelfi s’installe en Suisse en 1975, a Lausanne. Pour commencer, il s’associe dans une affaire de gravier. «Je me suis fait rouler, et ça m a co»té un peu plus de 10 millions de francs suisses.»

Petite consolation, son associé est jeté en prison. l’homme d’affaires français se rattrape vite, puisque Bilan le classe parmi les 200 plus riches de Suisse, avec un bas de laine estimé a 250 millions de francs. Heureux propriétaire d’une villa de dix-sept pièces au bord du lac, avenue de l’Elysée, il la cède «a perte» a son ami Samaranch pour que ce dernier y installe le Musée olympique…

Personnage de roman, sinon de bandes dessinées, André Guelfi veut encore mener un dernier combat contre Elf, en aidant le Comité olympique russe. Celui-ci attaque la compagnie pétrolière devant le Tribunal de commerce de Paris et lui réclame pas moins de 742,5 millions de dollars de dommages et intérêts. Motif? Elf n’aurait pas respecté un accord signé avec Dédé la Sardine. Et celui-ci promettait aux régions de Saratov et de Volvograd la construction d’un stade et d’une piscine olympique, en remerciement de la signature du contrat pétrolier. Sport et business…

* «L original», d’André Guelfi, Robert Laffont, 1999


Lematin.ch

Auteur/autrice