Arbre mon ami : La clémentine du père clément

Vous connaissez tous le Père Nol. Certains, comme moi par exemple, y croient encore. Mais connaissez-vous le Père Clément ? c’est le papa de la petite Clémentine. c’est a lui en effet que l’on doit ces merveilleuses petites boules couleur orange, qui foisonnent partout en ce moment dans nos rues et nos souks, et qu on pendrait bien, en ces fêtes de fin d’année, a un arbre de Nol. Sauf qu elles sont trop délicieuses pour les laisser sécher aux branches d’un sapin enrubanné.

Il était une fois On pourrait commencer ainsi l’histoire de Clémentine. La France venait de mettre pied en Algérie, dans les années 1830.Elle créa des villages de colonisation pour y installer des « colons » venus de métropole et des immigrés venus d’ailleurs, ainsi que quelques casernes et des écuries pour « pacifier » la région. Ainsi est né, a une vingtaine de kilomètres d’Oran, un petit village de 1500 habitants, Misserghin.

La région une fois « pacifiée », la caserne et un millier d’hectares furent mis a la disposition de religieux missionnaires (La congrégation missionnaire du Saint-Esprit) pour y créer un orphelinat sous la direction du Père Abraham. Celui-ci fit défricher par ses prêtres les terres pour planter des orangers. Parmi eux, le Père Clément (Clément Rodier) qui vécut dans ce village de 1839 jusqu a sa mort en 1904. c’était un esprit curieux de tout et féru de botanique. Il fit des essais, il sema, il planta, il greffaMais que fit-il au juste ?… A-t-il greffé un mandarinier sur un bigaradier, comme on l’a dit ? Toujours est-il qu un jour, des enfants de l’orphelinat allèrent cueillir dans la cour de l’établissement des petits fruits qui m»rissaient déja sur un arbre oublié au milieu de mandariniers encore verts. Le père Clément en go»ta un. Ce n’était pas une mandarine. Plus pulpeuse, plus douce, plus sucréeet sans pépinsUne révolution dans le monde de la botanique. Lorsque les botanistes prirent conscience de l’intérêt économique de la clémentine, juste avant la Seconde Guerre mondiale, et vinrent pour analyser la trouvaille, le carré des premiers clémentiniers avait été arraché. Deux décennies après la mort du Père Clément, la Société d’Horticulture d’Algérie baptisa en son honneur ce fruit miraculeux « Clémentine »

Le succès fut presque immédiat. Et les plantations de clémentines dépassèrent les frontières d’Algérie. On en trouve aujourd hui en Chine, au Brésil, en Argentine, au Mexique en Thaïlande, en Corée du Sud, aux Etats-Unis et sur le pourtour de la Méditerranée. Au Maroc, cette petite reine pousse dans la région d’Oujda, de Berkane, de Beni-Mellal et dans les Doukkala, de ce côté-ci de l’Oum Er-R Bia.

Sous le Protectorat, en effet, les Français avaient en quelque sorte divisé la région des Doukkala en deux zones : d’une part, la bande littorale entre El Jadida et Oualidia, réservée aux cultures maraîchères, pratiquées encore aujourd hui, et l’on voit presque en toutes saisons, des camions chargés de carottes, navets, poivrons et autres choux fleurs sortis des serres qui longent la route nationale, rouler a vive allure cette route déja trop étroite. ( Mais l’on parle pour bientôt d’une autoroute entre El Jadida et Safi !). l’autre zone, située entre El Jadida et Bir Jdid était plutôt consacrée a l’arboriculture, et principalement aux agrumes. Et elle l’est toujours ! Beaucoup d’Azemmouris se souviennent encore du célèbre « Café des orangers » A l’époque, il y avait également de grandes plantations de bigaradiers, très prisés des Anglais ( La confiture d’orange amère ! ) . Quelques-uns de ces arbres ornent certaines rues d’El Jadida, comme par exemple devant le Château d’eau, avenue Ibn Baddis( en face, il y a une dizaine de cigognes sédentaires qui viennent se reposer sur les araucarias et nicher au haut d’une antenne téléphonique).

On voit des clémentines et des mandarines, et de merveilleux citrons sur les bords de la rivière, dans la région de Mihoula, mais aussi au pied de la Casbah de Boulaouane, en arrivant, a votre droite. En traversant la casbah, au bout de l’anse de la rivière, après une belle koubah blanche au dôme orange, vous découvrirez une vieille bâtisse de couleur ocre. Elle appartenait a la famille Gachet, (Je n’assure pas l’orthographe), m a dit un vieux du village qui me racontait qu a cette époque, pendant la saison, des ânes transportaient a longueur de journée de sacs de clémentines Il n’y a plus d’arbres aujourd hui. Les racines ne sont plus la pour retenir la terre qui dévale l’érosion est en marche. La maison est en train d’être détériorée par des mains destructrices. Et personne n’y fait rien ! Pourtant, quel plaisant site ! Si quelqu un avait l’idée de restaurer cette maison et d’en faire, je ne sais, un gîte rural, une auberge de campagne? Un emplacement idéal, au moment où le tourisme rural est en vogue, pour des randonnées a cheval ou a dos d’âne, pour la pêche en rivière, pour des pique-niques familiaux On y sent encore l’odeur des clémentines. Et des mandarines. Et des citrons. La terre, de ce côté-ci des Doukkala, est même parfumée a l’orange.

Michel Amengual
Eljadida.com

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