Arbre mon ami : le Doum a la grande époque du crin végétal dans les Doukkalas

« Un jour,après un déjeuner en famille sur l’herbe, et a la faveur d’une sieste générale, un agriculteur eut, par curiosité, l’idée de voir comment était faite une feuille de doum, palme du palmier nain qu il avait a portée de main. Avec une épingle a cheveux qu il retira de sa femme endormie, il effilocha cette feuille et se rendit compte qu elle était faite de longues fibres unies l’une a l’autre par de la chlorophylle. l’idée de la fibre végétale était née. »

c’est ainsi que, d’après Charles Péraldi, serait apparu le crin végétal dont le Maroc allait devenir le premier pays exportateur mondial. l’invention de crin végétal revient a un colon d’Algérie, M. Averseng, qui, vers 1840, comprit tout le parti que l’on pouvait tirer des fibres extraites du palmier nain, en remplacement du crin animal. La première usine fut construite a Toulouse vers 1848. La fabrication de crin végétal prit ensuite rapidement un grand essor.

Dans l’article paru ici même sur le palmier (cf archives d’eljadida.com en date du 14 novembre 2007), j avais mentionné le nom de la famille Péraldi qui possédait a Mazagan au début du siècle dernier une usine de crin végétal. J ai voulu en savoir plus sur la façon dont étaient ramassées et traitées en usine les palmes du doum, ce palmier nain qui se trouvait en abondance dans les Doukkala. c’est ainsi que je suis entré en contact avec Mme Godest, qui travailla pendant longtemps aux côtés de Jacques Chirac a la Ville de Paris et dont le père, François Péraldi, installé pendant des lustres au Maroc, y avait créé les premières usines de crin végétal. Mme Gisèle Godest, tout comme son frère Charles, ont égrené spontanément pour moi les souvenirs qu ils ont gardés de cette époque, et ils en parlent toujours avec émotion. Qu ils soient remerciés ici pour ces précieux renseignements dont j ai tenu absolument a faire part a nos lecteurs car ils témoignent d’un aspect non négligeable de la vie économique dans les Doukkala au début du XXème siècle

C était l’époque où les fauteuils étaient rembourrés par les poils arrachés a la crinière et a la queue de cheval et les matelas par de la laine, ce qui les rendait fort onéreux. La toute nouvelle industrie automobile commençait a se développer, et le rembourrage des sièges de voitures était a prévoir. François Péraldi, qui était membre de la Chambre d’Agriculture, de Commerce et d’Industrie de Mazagan, flaira le bon filon, et eut l’idée de l’exploiter. Cela donna naissance a l’Industrie de Crin Végétal au Maroc. Il installa une première usine a la sortie de Mazagan, sur la route de Marrakech, et une autre dans sa ferme située a Aïn Talmest, pas très loin de l’Oum er Rbia, en direction de Settat, a une cinquantaine de kilomètres de l’El Jadida d’aujourd hui tandis que son frère implanta la sienne a Sidi Smaïn, près de Sidi Bennour. Le développement de cette activité pouvait commencer.

Le ramassage

« En premier lieu, nous dit Charles Péraldi, il a fallu former les personnes au ramassage et au conditionnement des palmes naturelles afin de faciliter le travail en machines. Il fallait faire des petits fagots d’environ 15 cm de diamètre, palmes toutes rangées dans le même sens Ces fagots, joints deux par deux, étaient ensuite assemblés en ballots bien solides, réguliers, et d’un poids facilement transportable. 20 a 30 kg. Ces ballots étaient ensuite livrés chaque jour, a dos d’ânes ou de chameaux. Afin de permettre aux douars éloignés de l’usine d’avoir un certain revenu, une bascule était mise a leur disposition sous la responsabilité d’une personne résidente qui pesait et payait les achats de palmiers, acheminés ensuite a l’usine par camion. Ces ramassage et livraisons de palmier permettaient a environ 150/200 familles de percevoir un revenu non négligeable »

L’effilochage

Les ballots arrivés a destination étaient entreposés dans un hangar a l’entrée de l’usine, avant de subir les différentes manipulations qui allaient aboutir au crin, a la ficelle et a la corde.

Mais pour cela, il fallait d’abord passer les palmes a la machine a effilochage : Cette machine était constituée d’une table de 50 cm de large, sur 6m de long et sur laquelle étaient fixées 5 grandes pinces pivotant sur un axe, permettant a 5 hommes de travailler. Cette table faisait partie intégrante sur toute sa longueur d’un coffre fermé dans lequel un arbre en acier, monté sur roulement a billes tournant a plus de 1000 tours/minute entraînait 5 tambours , hérissés d’alênes extrêmement pointues et aff»tées. « c’était un véritable travail de spécialiste, qui nécessitait la plus grande vigilance, car a la moindre distraction, c’était l’accident grave. » Cette machine, avec ses 5 employés, produisait environ une tonne de fibre par jour.

Après de très nombreuses années de recherches infructueuses par des ingénieurs qualifiés, cette effilocheuse plus que sommaire fut remplacée , après le Seconde Guerre mondiale, par une énorme machine dont le principe de fonctionnement était le même, mais la sécurité pour les employés renforcée. Le rendement journalier de cette machine passait de 1 a 6 tonnes.

Derrière l’effilocheuse, se trouvait une machine moins volumineuse, la cardeuse qui était alimentée par les rejets de l’effilocheuse. La fonction de cette cardeuse était d’aérer les fibres et de finir de les nettoyer de ses éventuels déchets.

Le filage

Les femmes étendaient ensuite cette filasse sur une aire, la secouaient, pour l’aérer et la sécher avant de la rentrer dans l’atelier de filature. Car le produit obtenu était rêche et certains clients exigeaient un matériau souple avec une certaine élasticité. Par mesure de sécurité, cet atelier était séparé de la fabrication de la fibre afin d’éviter tout risque d’incendie, car la filasse était très sèche. c’était un hangar de 20m de large sur 60 m de long, avec des fileuses où des poulies s’enchevêtraient dans un savant jeu technique et d’où sortaient, après diverses manipulations, des cordes que l’on mettait en balles de 50 Kg pour être livrées a la Coopérative qui se chargeait de la commercialisation et de l’exportation. c’est ainsi que pendant la Deuxième Guerre mondiale, l’armée française s’équipa de filets de camouflage tissés en crin. La dernière usine fut construite par les Péradldi a Matmata, entre Fès et Taza, en 1953. Six mois plus tard, elle fut détruite par un incendie. Ce fut certainement la dernière usine de crin végétal qui ait été construite au Maroc.

Et maintenant ?

Apparurent ensuite les fibres et les mousses synthétiques, fabriquées a partir des dérivés du pétrole. Le crin végétal périclita. Ainsi disparut une industrie qui participa grandement a la richesse du Royaume Pourtant, un regain d’intérêt pour les produits naturels se fait de plus en plus sentir ; le crin végétal est aujourd hui en vogue dans le monde entier, et particulièrement dans les pays européens. Au vu des nouveaux débouchés, on peut s’attendre a un développement de cette industrie textile. Peut-être y aurait-il une réflexion a mener pour savoir si la relance de la culture du palmier nain ne pourrait pas contribuer a augmenter les revenus du monde rural, et s’il n’y a pas lieu d’implanter dans la zone industrielle d’El Jadida, une usine de crin végétal d’où sortiraient des produits nouveaux, dans un monde moderne de plus en plus friand de produits naturels. En attendant, nous voyons réapparaître ces jours-ci, dans nos souks et nos marchés, les cordes et les ficelles en fibre végétale qui conduiront les moutons les plus chanceux au sacrifice : l’Aïd est déja la.

Michel Amengual
Eljadida.com

Auteur/autrice