Ces chauffe-eau qui tuent

Les chauffe-eau “made in China” ont fait officiellement 29 victimes au Maroc. Dans la réalité, les cas d’asphyxie sont beaucoup plus nombreux. Erreurs d’installation ? Défaillances du matériel ? Tout le monde est sur le pied de guerre sauf les importateurs qui continuent tranquillement a écouler leurs marchandises.

c’est une véritable hécatombe. Les chauffe-eau a gaz fabriqués en Chine ont fait beaucoup de victimes : 29 personnes asphyxiées selon le ministère du Commerce, chargé du contrôle qualité, alors que la presse
évoque une centaine de victimes. Il y a quelques semaines, 4 jeunes hommes ont péri a El Jadida en inhalant les gaz dégagés par un chauffe-eau importé de Chine. La colère de la population contre “ces appareils tueurs” est tellement grande que le ministère du Commerce a appelé au calme en affirmant que les contrôles effectués n’ont montré aucune défaillance. Le problème se résume, pour lui, a des erreurs d’installation. “Nous avons contrôlé plus de 100 appareils commercialisés. Ils sont conformes aux normes de sécurité. l’erreur provient de leur installation dans des coins non aérés”, explique Abdellah Nejjar, directeur de la Normalisation au ministère du Commerce.

Des fuites de gaz fatales
Si c’est vraiment la faute de l’utilisateur, comment expliquer ce nombre important de morts en quelques mois ? “Il s’agit d’une fuite de gaz”, tonne Abderrahim Hamdoune, père de l’une des victimes d’El Jadida. “Pendant un mois et demi, mon fils et ses colocataires prenaient leur douche le plus normalement du monde”, justifie-t-il. Le soir du drame, un de ces jeunes a été retrouvé mort sous la douche et les trois autres inertes dans leurs lits. “Ils ont inhalé du gaz alors qu ils étaient en plein sommeil”, affirme une source policière a El Jadida. Rien que dans cette ville, les “chauffe-eau chinois” ont fait 9 victimes sur les six derniers mois.

Marrakech, le 16 novembre 2005, quatre colocataires ont respiré du gaz. Deux sont morts et deux autres sont devenus tétraplégiques. c’est le cas de Fouad. Hagard, les joues creusées par la maladie, il arrive a peine a articuler le prénom de sa femme, Nadia. “Les médecins disent que le gaz a détruit des neurones dans son cerveau”, raconte-t-elle, affligée.

Comme les victimes d’El Jadida, Fouad a inhalé du gaz en plein sommeil. Mais il a été sauvé in extremis. On l’a retrouvé quinze heures après l’incident, toujours en vie, en train de baver. Les fenêtres de la maison étaient fermées ce qui confirme a priori la thèse gouvernementale qui attribue les cas d’asphyxie a la non-aération. Mais cette explication ne justifie pas tout. “Les appareils de bonne qualité arrêtent de dégager du monoxyde de carbone quand l’oxygène commence a manquer. Ils ont des dispositifs de sécurité qui éloignent tout danger même dans un endroit hermétique”, explique Khalid Berrada, de la société Precima qui commercialise une marque allemande. Pour lui, a côté de l’atmosphère confinée, il y a eu une mauvaise combustion, due a la défaillance de l’appareil chinois. Cette mauvaise combustion dégage dangereusement du monoxyde de carbone (CO), qui se fixe dans les poumons a la place de l’oxygène. Les victimes n’ont rien vu arriver parce que ce gaz est inodore et qu il se propage donc insidieusement. “Faites fonctionner une mauvaise chaudière qui produit du CO dans une pièce sans ventilation avec l’extérieur et l’asphyxie est garantie”, explique un technicien.

Bon marché et nuisibles a l’usage
Beaucoup d’indices corroborent la thèse de la défaillance du matériel. Bien avant le drame, Nadia a rendu visite a son mari installé a Marrakech. Elle assure y avoir souffert de nombreux malaises. Son fils s’est évanoui dans la maison et il n’a repris conscience que dans la rue, lorsqu il a respiré de l’oxygène a pleins poumons. Sa fille “a rendu tout ce qu elle avait dans le ventre”. “A l’époque, je croyais que la maison était hantée par les esprits”, raconte-t-elle. Aujourd hui, il n’y a plus aucun doute pour elle. “L appareil dégageait le gaz mortel”.

Selon les autorités, les cas d’asphyxie se sont multipliés pendant l’hiver. Les gens fermaient leurs fenêtres a cause du froid. Mais pourquoi cette année précisément ? d’après la direction de la Normalisation, cela se justifie par les arrivages massifs des produits “made in China” qui ont entraîné une baisse des co»ts et donc une augmentation des achats. Depuis que la Chine a entamé ses conquêtes commerciales en 2003, les importations des chauffe-eau a gaz ont été multipliées par trois, passant de 25 000 a 65 000 unités. Le pouvoir d’achat étant faible au Maroc, ces appareils ont connu du succès. Un chauffe-eau bon marché se vend a partir de 450 DH contre 1850 pour la marque allemande Junkers ou 1350 pour le Français, Chaffoteaux et Maury. Neufs, ils fonctionnent bien. “Les problèmes commencent quelques mois après”, soulignent les professionnels. La capacité de nuisance de ces appareils augmente “parce qu ils ne sont pas bien réglés”. Le chauffe-eau incriminé dans l’affaire d’El Jadida a été acheté depuis un an et demi. Pendant toute cette période, “il fonctionnait bien”, indique le père du jeune Hamdoune. Ce n’est que dernièrement “qu il a lâché”, comme d’autres un peu partout au Maroc.

Au port de Casablanca, où transitent les gros containers venant de Chine, les services de la douane “sont très préoccupés” par cette affaire. Aucune marchandise ne peut être enlevée sans “une attestation de conformité”, délivrée par la direction de la Normalisation. Pourtant, il y a eu des dégâts humains. “Nous n’avons aucune emprise sur la façon avec laquelle s’effectue ce contrôle de conformité”, lâche un responsable douanier qui convient que ces appareils posent un problème de qualité. Ces derniers ne pourraient jamais transiter en Europe vu le durcissement des normes de sécurité. Ce qui est pointé du doigt, c’est “le manque de moyens de contrôle performants et sophistiqués”.

Embargo sur les importateurs
Combien d’importateurs existe-t-il sur le marché ? Ils sont “trop nombreux pour être listés”, indique-t-on a la Douane qui planche sur une évaluation chiffrée. A Derb Omar, plaque tournante du commerce des chauffe-eau chinois, la psychose engendrée par les pertes humaines est tellement forte que les revendeurs refusent de révéler l’identité de leurs fournisseurs ou inventent mille et un prétextes pour brouiller les pistes. Curieux s’abstenir! Basés sur la route de Médiouna ou sur l’avenue Houmane El Fetouaki, ces importateurs ont pignon sur rue. c’est dans cette dernière avenue que se trouve l’importateur de la marque “Général” (commercialisée a 750 DH). Mais nos sollicitations sont demeurées sans suite. Black-out total. Pour sa part, le fournisseur de la marque BOST, citée dans les PV de la police d’El Jadida, fait savoir par revendeur interposé que les personnes qui veulent le contacter doivent chercher ses coordonnées dans le registre de commerce.

De quoi ces gens ont-ils peur ? Leur commerce se poursuit normalement malgré les dégâts occasionnés par les appareils qu ils vendent. En plus, ils ne sont pas inquiétés par les autorités. “Ces importateurs n’ont pas la conscience tranquille”, soutient un professionnel qui précise que l’écoulement de la marchandise se fait d’une manière artisanale. Ils livrent leur stock en vrac et parfois même sans spécifier leur identité au revendeur. La traçabilité ? On s’en moque. Dans ce cas de figure, difficile de résister au dicton qui dit : “Pour vivre heureux, vivons cachés”.

Nadia Lamlili
Telquel

Auteur/autrice