Chroniques mazaganaises : Une périssoire nommée gobie

A la lecture d’un article dans le Jdidi n°66, Histoire d’une périssoire périlleuse, de Mahmoud Aït Kaci , un souvenir oublié de mon enfance a resurgi : l’acquisition de mon premier bateau , justement une périssoire.

L’aîné des fils de Monsieur Coutareau, le Directeur du Port de Mazagan, cherchait a se débarrasser de ce type d’embarcation usagée. Mes parents négocièrent sa périssoire pour un prix symbolique. Fier comme un coq, je pris le temps de me l’approprier en lui préparant un lifting complet. Le plus important : refaire l’étanchéité en calfatant au mastic les planches disjointes pour éviter les entrées d’eau dans les deux compartiments opposés, garants du label « insubmersible ». Le Titanic en son temps a bénéficié de la même publicité ! Je passais ensuite avec application plusieurs couches de peinture : jaune canari pour le dessus, noir pour le dessous. Pour terminer, je plaquai sur les deux côtés de la proue son nom, au pochoir : Gobie, petit poisson sans prétention connu de tous.

En vue d’un premier essai a la mer, un ami m aida a la corvée de portage de la boulangerie de mon père a la plage près de la petite jetée. l’océan farnientait ce matin la. Propulsant Gobie au moyen de la pagaie double, je fus immédiatement frappé par l’instabilité de mon esquif. Progressivement je m habituais et me régalais en m aventurant jusqu a l’extrémité de la jetée sans toutefois pénétrer dans le port. Le jour suivant, a marée haute, même endroit même heure. J avais confectionné une ligne de fond (palangrotte pour les initiés.) l’engin occupait un espace minimal, idéal pour pêcher sur ces fonds qui nous étaient jusqu a présent totalement inaccessibles. Les gros poissons pouvaient commencer a se faire du souci ! Je franchissais pour la première fois une série de petits rouleaux en m appliquant a présenter l’étrave bien face l’écume. En moins de 10 minutes j atteignais le haut fond espéré, matérialisé par des vagues déferlantes. En prenant une distance de sécurité en amont de la direction de la houle, je débobinais ma ligne lestée d’un gros plomb, armée d’une paire d’hameçons garnis chacun d’un magnifique boreau, ver de mer poilu a l’extrémité encore remuante.

Malheureusement le vent commença a forcir et ma périssoire, en l’absence de mouillage, se mit a dériver rapidement. Mon ambition de grosses prises compromise, je décidais de reprendre la pagaie pour m échouer sur le sable de la zone de baignade surveillée par notre célébrissime Larbi. La première déferlante me fit partir en surf puis en travers de la mousse et me sanctionna par un brutal chavirage. Je rejoignis a la nage mon épave a l’envers sur le sable. Des enfants m aidèrent a la retourner et a la remettre a flot. J avais fait le mauvais choix de venir au milieu des baigneurs. Arc bouté sur les pales, je tentais de repasser la barre sans succès a cause des mômes qui trouvaient un malin plaisir a s’agripper a la pointe arrière et avec la collaboration des vagues s’amusaient a me faire revenir a la case départ.

Il me fallut plusieurs tentatives pour réussir a franchir ce mur d’eau. Stressé, épuisé, je flottais enfin en eau libre, subissant seulement l’amplitude de la houle devenue encore plus importante. c’est alors que je découvris avec angoisse que mon calfatage désastreux permettait a l’eau de s’infiltrer sournoisement dans les caissons d’étanchéité. J écopais vainement avec les mains un bateau de minutes en minutes plus lourd qu un rmar. Désespéré, au bord des larmes, je tentais de gagner le point le plus proche du rivage. Sans gilet de sauvetage inconnu en ces temps mémorables, je me jetai encore une fois a l’eau. Aidé par un courant favorable, je nageais en poussant tant bien que mal la coque complètement remplie d’eau, mais flottant au ras de la surface vers les roches providentielles que la marée basse commençait a découvrir. En prenant pied, je pus sauver in extremis ma périssoire du naufrage.

Je réalisais bien vite qu avec ce minuscule bateau, a part faire des ronds dans l’eau calme, aucune autre activité n’était envisageable!.
J ai le bonheur de vivre aujourd hui en Océanie où les insulaires des îles perdues du Pacifique Sud construisent des pirogues depuis la nuit des temps, en évidant tout simplement un tronc d’arbre. Ils les utilisent avec maestria dès leur petite enfance pour se déplacer, pêcher et s’amuser en ajoutant l’option voile et balancier. Ce dont je suis certain, c’est qu ils n’auraient jamais échangé une embarcation inchangée depuis le néolithique contre une moderne périssoire !

LEGENDE ET CREDIT PHOTO
La pirogue océanienne (Iles Salomon), est une embarcation simplissime inchangée depuis le néolithique.
Partie de pêche sous-marine a bord de pirogue mélanésienne (Ile de Vanikoro République des Salomon).
Crédit : Pierre Larue

Pierrot LARUE ( Mazagan de 49 58)
Eljadida.com

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