Dans les dédales de la cité universitaire

Nadia, Bouchra et Samira relatent leur quotidien, ou plutôt comme elles préfèrent dire : « leur calvaire » A quelques mètres de la faculté des sciences, située sur la route d’El Jadida, a Casablanca, se trouve la cité universitaire. Sa mission : organiser la vie matérielle des étudiants résidents, a savoir l’hébergement, la restauration et la création d’une aire d’activités sociales, culturelles et sportives. Composée de quatre bâtiments, d’un restaurant, de quatre réfectoires, d’une capacité de 500 places chacun, de deux infirmeries, d’une salle de culture physique et de terrains de sports, la cité universitaire de Casablanca rassemble plus de 2.000 étudiants.

Dans cet univers « estudiantin » se côtoient garçons et filles de différentes villes marocaines. Pour découvrir leur monde, nous avons décidé d’aller y faire un petit tour. 14h45. Entrée principale de la cité universitaire. Un homme frisant la cinquantaine, nous barre le passage : « Vous demandez quelqu un en particulier ? ». Pour éviter de se faire remballer, nous lui expliquons que nous sommes a la recherche d’une cousine. Et avant même qu il n’ait eu le temps de voir sur notre carte d’identité notre fonction de journaliste, nous nous précipitons a l’intérieur de la cité. Au loin apparaît le bureau des gardiens, où ne se trouvait a cet instant aucun agent de sécurité.

A côté, se trouvent un dispensaire médical, une trésorerie, une laverie qui, « ne fonctionne qu a la fin de l’année scolaire, quand les étudiants y déposent leurs matelas », selon quelques étudiantes. Pas loin de la, on trouve la cantine. Ici, le repas co»te 1dirham 40 centimes, mais il faut le commander la veille, entre 18h et 20h, sinon, l’étudiant qui ne réserve pas risque de rester sans déjeuner ni dîner. Mais heureusement, il y a la possibilité de se rabattre sur la « superette », qui en fait, n’est qu une simple épicerie, où les produits sont vendus au même prix qu a l’extérieur. 15h45.

Direction le pavillon des filles, appelé Ibn Khaldoun. Dans la cité, les pavillons portent les noms de savants ou de poètes arabes, Ibnou Rochd, Ibn Sina et Arrazi pour les garcons et Ibn Khaldoun et Al Khansaa pour les filles. A l’entrée du premier bâtiment, toujours pas de gardien. Quelques enveloppes contenant des relevés de banques sont parsemées négligemment sur le comptoir vide et glacial. Ici, les filles sont dispatchées selon les disciplines qu elles poursuivent. Ainsi, on peut trouver d’un côté des étudiantes en médecine, dans l’autre en littérature, en droit, en sciences, etc… Au-dela du couloir, apparaissent des filles en train de laver leurs vêtements dans les toilettes, de faire leur vaisselle, de ramasser leur linge étendu sur une corde nouée entre la grille d’une fenêtre et le tronc d’un arbre. Enfin, le ménage quoi ! Pourtant, elles devraient être en cours a cette heure-ci. On se croirait presque dans un de ces fameux HLM de la banlieue parisienne.

Samira, étudiante de 22 ans, nous attend dans sa chambre. Pour éviter de se faire « expulser » de la cité, elle préfère garder l’anonymat. En effet, chaque début d’année scolaire, plusieurs filles, « sans savoir pourquoi », s’en défendent quelques unes, sont enregistrées sur des « listes noires » parce qu elles ont « manqué au respect et a l’éthique ou qu elles ont agit de manière attentatoire a la pudeur ». De ce fait, quelques unes se retrouvent dans l’obligation de signer un « compromis » (un document de réglement intérieur) dans lequel elles reconnaissent avoir agi de façon négligente et s’engagent a respecter l’éthique. Si elles refusent, les responsables contactent leurs parents et les informent de l’attitude de leur progéniture. Samira témoigne : « Les responsables nous épient tout le temps et notent tous nos faits et gestes avec pour seul objectif de nous harceler afin que nous cédions a leurs avances. Il leur arrive d’inventer de toutes pièces des évènements qui n’ont jamais eu lieu. Ils notent tout : les vêtements que nous portons, le matricule des voitures qui nous déposent, même si ce sont celles de nos proches.

c’est vrai que nous sommes censées être respectueuses dans la cité, mais nous ne sommes plus des mineures et, nous avons une vie a côté de notre quotidien estudiantin… » Non loin, Samya, une autre étudiante, rouspète : « Une copine a moi, a même été suivie une fois par un des rapporteurs jusqu au centre ville. Il voulait absolument savoir où elle allait et qui elle fréquentait… Si les responsables veulent assurer notre sécurité, ils devraient agir autrement. Par exemple, ils n’ont qu a commencer par vérifier si toutes les filles résident effectivement dans la résidence. En effet, certaines habitent en dehors de la cité, même si elles ont une chambre a l’intérieur ».

Nadia, une brunette de 24 ans vêtue d’un pyjama bleu nuit et portant un foulard pour maintenir son brushing et Bouchra, 25 ans, originaires toutes les deux d’EL Jadida, amies de Samira, nous invitent dans leur chambre, qui fait 16 m2 de superficie. Pourtant deux filles y vivent, quand ce n’est pas trois. Pour donner un peu plus de chaleur a leur petit chez-soi, Nadia et Bouchra on rajouté une touche féminine. Elles ont mis des rideaux colorés et une nappe sur la table. Une bouteille de gaz, des ustensiles de cuisine et un poste de télévision contribuent a meubler la chambre.

Les trois filles n’ont pas hésité un seul instant a nous raconter toutce dont elles souffrent, Nadia nous raconte par exemple sa souffrance quotidienne pour trouver un moyen de transport. « Je suis inscrite dans une école de commerce privée en parallèle avec mes études universitaires. Je vis un calvaire chaque matin pour trouver un bus a 7h. Compte tenu de l’emplacement géographique de la cité, je ne peux pas m aventurer plus loin pour trouver un autre bus ou un grand taxi… Les petits taxis abondent mais je ne peux absolument pas les prendre, il me co»teraient une fortune. Le plus dur, c’est quand je rentre le soir a 21h30. Le grand taxi me dépose sur l’autoroute d’El Jadida.

Il faut que j attende pour prendre un petit taxi qui me raménera a la cité », dit-elle. Bouchra, quant a elle se plaint du manque d’hygiène : « Tout est sale ici !! A la cantine, je ne peux même pas prendre un verre de lait… La viande n’est souvent pas bien cuite, les pommes de terre deviennent une soupe, tellement elles sont de mauvaise qualité et le pain, je ne vous en parle même pas. Le temps de la ramener de la cantine a la chambre, la baguette n’est plus croustillante, elle devient toute molle, une vraie parenthèse.

La semaine dernière, une des filles d’a côté a trouvé carrément un ver dans son bol de soupe. l’année dernière, j étais parmi les 340 personnes qui ont vécu une intoxication alimentaire, j ai souffert d’une très forte diarrhée et de maux d’estomac… Ils ont dit que c’était a cause de la quantité de soja qu ils avaient mis dans la soupe… Tout est sale, je vous l’affirme. Il n’y a pas que la nourriture.

Il n’y a qu a voir les toilettes et les douches ! On préfère mettre un seau dans la chambre pour faire nos besoins la nuit. Nous n’osons pas nous aventurer dans cet enfer glacial… Imaginez la situation au cas où nous aurions un besoin plus consistant durant la nuit ».

En effet, chaque couloir est sous la responsabilité d’une femme de ménage, mais lorsque cette dernière part, tout devient comme avant et les canaux se rebouchent. Faute de main d’oeuvre ou d’assainissement ? Bouchra ajoute que « pour prendre mon bain, je dois attendre une a deux heures, parfois tout un après midi… Il est vrai que les douches sont prévues pour le lundi, le mercredi et le vendredi, mais l’eau chaude est la, juste pour trois petites heures, en plus la pression ne monte pas aux étages supérieurs… On est obligé de descendre au rez-de-chaussée. Le comble, c’est quand l’eau refroidit, surtout en hiver. Mais on n’a pas d’alternative, mis a part le bain maure qui se trouve a l’extérieur de la cité. Mais encore faut-il trouver l’argent : 20 DH aller/retour.

Quant a nous sécher les cheveux, c’est une autre histoire. Soit on doit aller en ville, soit on attrape la grippe. En fait il nous est interdit d’avoir un sèche-cheveux. Et c’est pareil pour tous les autres appareils électroménagers » Un quotidien souvent difficile, accablant, déprimant et pourtant ces filles, en venant a la cité, espéraient vivre les plus belles années de leur jeunesse !

Rajaa Kantaoui
Le Matin

Auteur/autrice