L Aïd El Kébir dans les doukkalas, entre traditions et tracas

L an dernier, le prix du mouton variait selon les quartiers et les qualités entre approximativement 44 et 48 dirhams le kilo. Par contre, cette année il varie, pour l’instant, entre 43 et 44 DH le kilo. Ce qui représente une assez grosse somme. Le mouton doit répondre a certains critères bien particuliers, dont entre autres être un mâle d’environ un an, ni borgne, ni boiteux, ni malade.

Cette année, dans les Doukkala, le nombre des ovins destinés a être abattus a l’occasion de l’Aïd El Kébir est estimé a plus de 120.000 têtes. Cependant, la spéculation bat son plein, depuis le premier jour de l’ouverture des “rahbas” (marchés urbains pour les moutons) jusqu au matin même de l’Aïd. Le prix du mouton varie selon sa qualité, sa race et son âge. Il est aussi déterminé en fonction du lieu de vente, de la durée qui nous sépare du jour de l’Aïd. Mais comme toujours, ce sont les “Chennaqa” qui en tirent profit. En plus et a quelques jours de l’Aïd El Kébir, de nombreuses affiches vantent les mérites de maisons de crédit pour l’achat du mouton, ce qui montre qu il n’est pas facile pour un salaire moyen d’acquérir une bête qui co»te entre 1.400 et 4.800 dirhams.

Ainsi, beaucoup de familles se privent par ailleurs afin de respecter la tradition. Aux Doukkala, a partir du moment où il est choisi pour être destiné au sacrifice, le bélier devient presque sacré. Il faut donc prendre soin du mouton après l’avoir acheté en lui donnant de l’eau et de la paille. Et, avant de l’égorger, il faut arrêter de le nourrir la vielle. c’est après la prière de l’Aïd que le mouton peut être égorgé, généralement autour de 8h 45. Le sacrifice doit être accompli par un homme pieux qui tranche la carotide de la bête dont la tête est dirigée vers La Mecque. Dès que le sang jaillit, tout devient important dans l’animal.

«Jadis les femmes, raconte Oumi Zineb, recueillaient le sang pour l’utiliser a des fins curatives et les mères trempaient leur doigt dans le sang de l’animal et posaient un point sur leur front et celui des enfants, afin de leur porter chance. “Labtana”(la peau du mouton) est considérée comme le meilleur tapis de prière et la vésicule biliaire est supposée avoir des vertus extraordinaires. Le premier jour, le mouton n’est pas entamé n’importe comment. On commence par l’épaule, qui sert a la préparation du couscous. Les festivités peuvent durer sept jours.

D autre part, on constate, dix jours environ avant l’Aïd, que cette fête religieuse se transforme en une activité commerciale et lucrative durant laquelle nombre de petits métiers fleurissent : commerce d’épices, de nappes, de sacs blancs de plastique, d’ustensiles de cuisine… Ainsi, des marchés informels naissent a travers les localités et les quartiers et de nombreux petits métiers apparaissent: aiguiseurs de couteaux, vendeurs de paille, marchands de charbonCertains campagnards se transforment en aiguiseurs.

D autres se rendent aux souks des moutons et travaillent en tant que transporteurs des moutons achetés.
Le jour de l’Aïd, tôt le matin, des panégyriques du prophète Sidna Mohammed fusent de la m salla, où les hommes se retrouvent pour la prière de l’Aïd et l’odeur de l’encens remplit les foyers. Après quoi, c’est toute une activité débordante qui s’installe. Activité où la gastronomie a une part essentielle. Le premier repas se compose traditionnellement d’un plat unique: le “boulfaf”, brochettes de foie enrobées de crépine. «Dès qu on égorge le mouton, j allume le kanoun, le vent fait rougir les braises pour faire le boulfaf.

Et aucun repas ne saurait se terminer sans le fameux verre de thé, nous dit Aïcha, mère au foyer. Après le déjeuner, les maîtresses de maison commencent une longue série de corvées domestiques qui durent jusqu au soir Le matin du deuxième jour de l’Aïd est généralement réservé aux travaux suivants: découper le mouton, épicer le gueddid (la viande salée), préparer ” lemrozia” (repas épicé et sucré) La tradition a décidément bien du go»t.

La coutume au fil du temps

«L Aïd a connu des métamorphoses dans la forme et dans le fond. c’est une occasion pour la famille et les amis de se retrouver. La communion entre les voisins est profonde et peut aller jusqu a offrir un bélier aux familles pauvres. Cependant, souvent, les valeurs spirituelles de l’Aïd El Kébir comme la solidarité et la cohésion sociale laissent la place a la consommation de masse et a la rivalité entre voisins, surtout dans les milieux populaires : qui va sacrifier le plus gros mouton ? Sacrifier un mouton, est devenu donc plus qu un acte religieux non obligatoire.

Il est devenu une nécessité imposée par la société, très axée sur les apparences.», souligne Hadj Kaddour. En plus, comme les temps ont bien changé, on n’égorge plus le mouton comme avant. l’évolution du mode de vie a entraîné de nouvelles habitudes. Les gens n’ont pas appris les techniques du sacrifice comme le faisaient leurs ancêtres. Ce sont des bouchers ambulants qui font le tour des zones urbaines et fixent leurs tarifs entre 100 et 150 DH par animal. Ainsi, le jour de l’Aïd, tous ceux qui savent égorger se transforment en bouchers accompagnés d’apprentis bouchers. Ils se débrouillent pour être munis de tous les outils nécessaires : couperet, couteau, hachoir, scie

ABDELMAJID NEJDI
Le Matin

Auteur/autrice