L enseignement contraire au Maroc

Ce titre n’est pas le mien, il m a été inspiré par un doukkali, quinquagénaire illettré. Cet homme qui a travaillé avec les Français pendant plusieurs années était arrivé a comprendre les mots et les noms des objets en français. Le soir, en rentrant chez lui, il expliquait a son fils, écolier, les mots que celui-ci ne comprenait pas. Un jour, son fils sortit son cahier de devoirs et demanda a son père le contraire du mot «petit», le contraire du mot «chaud» et ainsi de suite. A un certain moment son père, exaspéré, lui dit en toute simplicité:
Mais pourquoi ton instituteur cherche-t-il le contraire?
Le contexte est certes différent mais je crois qu il représente l’état actuel de l’enseignement au Maroc.

L’on se demande aujourd hui si les élèves dans les écoles reçoivent une éducation ou son contraire? Apprennent-ils le respect ou la violence? Pour preuve: les carreaux des établissements trop souvent cassés, les plantes coupées, les classes salies, les filles harcelées et les grossièretés proférées.

Le grand malheur c’est que les citoyens eux-mêmes financent cet enseignement contraire aux valeurs communes au peuple marocain. Aujourd hui, tous les Marocains parlent de la crise de l’enseignement mais se trouvent impuissants devant l’ampleur de la catastrophe. Tout récemment, un ami inspecteur de l’éducation nationale m a informé que le nouveau ministre avait adressé une circulaire sollicitant suggestions et propositions nouvelles.

Je n’appartiens pas a ce ministère mais, en tant que citoyen, je voudrais poser une question: Quand un chirurgien ne réussit pas une opération, on le désigne seul responsable; quand un architecte n’assure pas le suivi d’un chantier on l’incrimine. Mais quand l’élève reste un cancre, il en est le seul responsable.

Les choses ne sont-elles pas claires? Aujourd hui, au Maroc, on n’a plus ces merveilleux enseignants marocains et français «engagés et enragés» comme on avait autrefois et qui ont fait de ma génération ce qu elle est devenue. Tout comme il existe des enfants butés et réticents a tout effort d’apprendre, il faut dire clairement qu il y a aussi des enseignants qui ne sont pas fait pour ce métier et qui doivent regagner d’autres ministères ou retourner en formation.

En octobre dernier, j étais invité pour animer une rencontre au profit de nouveaux étudiants inscrits en faculté. l’organisateur m a demandé de parler de mon expérience de chercheur et de lecteur. Au cours de ma discussion avec les élèves, je leur ai posé une question:
Lequel d’entre vous a lu en français Les Misérables de Victor Hugoou l’Etranger d’Albert Camus?
Personne
Lequel d’entre vous a lu en arabe des ouvrages du romancier Mohamed Zefzaf?
Personne.
Et puisque cette rencontre s’est déroulée a El Jadida, je leur ai demandé s’ils avaient entendu parler d’écrivains nés ou ayant vécu a El Jadida. Enfin un seul a cité le nom de Driss Chraïbi, sans aller plus loin ignorant, par exemple, Abdelkébir Khatibi, Fouad Laroui, Abderrahmane Taha, Nelcya Delano et Jean-Louis Morel.

Ce jour-la, j étais mal a l’aise, car j avais devant moi des victimes d’un enseignement en faillite. En effet, l’université marocaine va mal car elle dispose d’énormément de professeurs qui ne font pas de recherches. Il n’y a qu a lire l’interview avec le professeur Mohammed Cherkaoui qui a fait une étude a ce sujet (in Zamane, octobre 2013). Mohammed Cherkaoui a dépouillé toute la production des enseignants marocains en sciences humaines et sociales de 1960 a 2006 et a été atterré de constater que la majorité des enseignants chercheurs, plus de 55%, n’ont jamais publié une seule ligne de leur vie durant les six dernières décennies. Et Mohammed Cherkaoui de s’interroger «Comment dès lors concevoir une université moderne sans recherches et sans publications? Comment nos professeurs dispensent-ils le savoir scientifique qui est censé présenter la pointe de la recherche?».

L’universitaire Mohammed El Omari (in al-Massae du 23 octobre 2013) va plus loin encore quand il déclare que ce qui l’intrigue c’est que ces professeurs touchent dans leur salaire une indemnité mensuelle dédiée a la recherche et il s’indigne du fait que ces professeurs puissent prétendre a la qualité de chercheur
Affaire a suivre évidemment.

Mustapha Jmahri
ElJadida.com

Auteur/autrice