La femme qui me deconcerta, peinture et discours au Maroc (partie 3)

Les discours

Le discours sur la peinture marocaine est l’œuvre de critiques de l’art et d’artistes. Ce discours recommande a l’artiste de peindre et de s’abstenir de commenter ou de se justifier. Il réclame une critique élaborée et professionnelle et assigne a l’art un rôle d’instruction plutôt que de divertissement.

Discours des critiques d’art

Ce sont des critiques et des hommes de lettres qui s’expriment a l’occasion d’expositions. Leur discours concerne alors le ou les artistes qui exposent et parfois les déborde pour englober l’art en général. Pour le moment encore, ce qui caractérise ce discours c’est l’ésotérisme, l’éloge, l’absence de spécialité et l’absence de continuité dans l’étude.

L’un de ces critiques, m a semblé se distinguer par la justesse et la clarté des propos. Il s’agit de Mohamed El Malti dont je rapporterai un extrait : « Après avoir mimé le discours occidental et initié l’action culturelle et sociale de la peinture pendant les années 60, les discours actuels sombrent dans les nostalgies, la stagnation ou la diversion :
– Les nostalgies occidentales (on parle toujours d’abstraction, naïveté ou minimalisme…)
– Les nostalgies des années 60 (on parle encore de l’engagement, de l’action sociale de la peinture, de la peinture de masse…)
– Les nostalgies traditionalistes souvent chauvinistes et parfois même intégristes (on parle d’identité, dauthenticité…

Quant aux intellectuels de formation littéraire, ils ont, de l’avis de Mohamed Chebaa, artiste peintre de renommée, « mal digéré notre action. Et pour ne pas trahir leur verbe, ils continuent a pratiquer du texte préalable a la peinture. Ils sont désespérément déçus de ne pas retrouver leur texte dans la peinture et ne cessent de nous reprocher cette absence. (Or) si la peinture devait être l’illustration d’un texte, elle n’aurait, bien évidemment, aucune raison d’être. »

Discours des artistes

En règle générale, au Maroc, les artistes ne parlent pas de façon satisfaisante de leurs œuvres ou n’en parlent pas du tout. c’est ce que résume avec courage et honnêteté cette confidence d’artiste « Je suis autodidacte, je ne connais pas les courants de la peinture (ni d’ici ni d’ailleurs). Je suis Saladi, Abbas Saladi. Je regarde. Seule me nourrit le beau et ses valeurs sacrées a quoi ma sensibilité nue est constamment en aguet ». d’ailleurs, critiques et artistes s’accordent a penser que le rôle du peintre consiste a être convaincu de sa création et a peindre car « lorsque cette conviction est accompagnée d’une plaidoirie en guise de discours, c’est la création elle-même qui disparaît. » pense Mohamed El Malti.

Toutefois, un des grands artistes et homme de grande culture marocain s’est exprimé brillamment sur cette question. Il s’agit de M Abdelghani Oubelhaj pour qui « le plasticien ne peut écrire sur sa propre expérience sans risquer d’une manière ou d’une autre d’être subjectif » Quant a l’écriture elle-même, il pense qu « elle est, au Maroc, une affaire ambigu et que son statut est celui d’une littérature marginalisée.. » Par ailleurs, il signale que « toute approche qui ignore les notions fondamentales (histoire de l’art, les choix ou influences esthétiques, la dimension du marché de l’écoulement et de la diffusion de l’œuvre d’art) est menacée de sombrer dans l’irrationnel et l’éphémère. » Dans ce domaine, dit-il a juste titre : « il est temps de passer du divertissement a l’instruction. »

c’est justement de ce passage que l’art, dans toutes ses manifestations, a besoin dans notre pays. Parce que pour créer intelligemment, consommer intelligemment et apprécier intelligemment il faut s’y préparer intelligemment. Or qui d’autre est mieux placé que l’instruction publique peut assumer ce rôle par la prise en charge de l’éducation de l’esthétique et de la formation a la créativité ?

Conclusion

Au terme de l’éclairage que j ai apporté, en résumé, au « secret des planches », je demanderais a l’assistance (ou aux lecteurs) l’autorisation de revenir a ma femme. Non pas celle que j ai épousée, mais celle qui me déconcerta.

Si elle revenait a Bâb Rouah pendant que je visiterais une exposition de peinture abstraite et si elle me demandait ce que les gens regardent, c’est le discours que vous venez d’entendre (ou de lire) que je lui rapporterais. Je suis content que vous l’ayez entendu (ou lu) et vous en remercie.

Sources bibliographiques

– T. Mariani, Ecrits sur l’art, Al Kalam, collection Zellije
– Histoire mondiale de l’art, T6, marabout université
– J. P. Sartre, Qu est-ce que la littérature? Idées, nrf, n° 58
– Bassamat, n° 1, Université Hassan II, Faculté des Lettres et des Sciences humaines II, Casablanca, Maroc
– D. Huisman, l’esthétique, QSJ, n° 635
– X. Barral i Altet, histoire de l’art, QST, n° 2473
– A. Bonfand, l’art abstrait, QSJ, n° 2854
– A. Cauquelin, l’art contemporain, QSJ, n° 2671

Ahmed Benhima – El Jadida(24/04/2007)

Auteur/autrice