La folie des salaires

LA FOLIE DES SALAIRES
“Dis-moi quel est ton salaire, je te dirai ce que tu vaux.”

La divulgation, au Maroc, d’informations sur les salaires de hauts fonctionnaires et de hauts responsables est une opération de transparence et la publication des commentaires qui s’en suivent est un signe de liberté et de démocratie. Toutes, des qualités auxquelles aspirent les peuples dans le monde entier.
l’une de ces révélations concerne les salaires du staff technique des sélections nationales de football. Selon le site internet Yabiladi, daté du 01/08/2015 qui cite un rapport financier de la Fédération Royale Marocaine de Football (FRMF), ces appointements mensuels se répartissent comme suit :
Tableau N°1
Salaire Nombre
500 000 Dh 01
360 000 Dh 01
200 000 Dh 02
150 000 Dh 01
120 000 Dh 01
100 000 Dh 05
60 000 Dh 04
Entre 30 000 et 40 000 Dh Non précisé

la FRMF verse donc régulièrement ces montants, majorés probablement d’indemnités diverses et de primes, en cas de victoires. Par contre, aucune retenue n’est appliquée en cas de défaites.
Que peut-on en dire ? Qu ils sont ordinaires ? Qu ils sont excessifs ? A l’observation simple, ils atteignent des niveaux peu communs. Nous proposons, toutefois, de les comparer a ceux du staff du gouvernement puis au salaire du fonctionnaire moyen, pour nous faire une idée précise du niveau de leur hauteur.
d’après le même site, en date du 04/11/2014, qui rapporte les déclarations du ministre délégué auprès du ministre de l’économie et des finances, chargé du budget, les membres du gouvernement sont actuellement rétribués comme suit :
Tableau N°2 :

Salaire mensuel Titulaire Observations
70 000 Dh Chef du gouvernement Salaire et indemnités compris+ Logement de fonction évalué a 15 000 dh
58 000 Dh Autres ministres Salaire et indemnités compris
50 000 Dh Quelques 120 autres hauts fonctionnaires Pas de précision

Selon le même responsable, le salaire mensuel moyen de la fonction publique c’est 4000 Dh. Aucune prime ou indemnité supplémentaire n’est mentionnée.
Le tableau N°3 fera apparaître, par la comparaison, ce que représente chaque salaire de staff technique des sélections nationales par rapport a ceux des autres catégories.

STAFF Chef GVT. ministre salarié moyen
500 000 7 fois plus 8 fois plus 125 fois plus (soit 10 ans de salaires)
360 000 5 fois plus 6 fois plus 90 fois plus (soit 7 ans de salaires)
200 000 3 fois plus 3 fois plus 50 fois plus (soit 4 ans de salaires)
150 000 2 fois plus 2,5 fois plus 37 fois plus (soit 3 ans de salaires)
120 000 1,5 fois plus 2 fois plus 30 fois plus (soit 2,5 ans de salaires)
100 000 1,5 fois plus 1,7 fois plus 25 fois plus (soit 2 ans de salaires)
60 000 proche égal 15 fois plus (soit 2 ans de salaires)
40 000 proche proche 10 fois plus (presque 1 an de salaires)
30 000 moitié moitié 07 fois plus (soit 6 mois de salaires)

Ce document met en évidence l’écart sidérant entre les différentes catégories. Dans un pays où la précarité, le chômage et le sous emploi sont encore très répandus, ces déclarations ne constituent plus une transparence mais plutôt une arrogance et une provocation. Toutefois, peut-il y avoir une explication qui justifierait, malgré tout, ce phénomène?
La FRMF peut arguer qu elle est une association de droit privé et que son personnel n’est pas rétribué par la trésorerie de l’Etat. Il n’empêche qu elle se ressource, en partie, avec les subventions de ce dernier et aussi, en partie, avec les contributions des collectivités locales. Donc, avec l’argent du contribuable qui n’a, le plus souvent, aucune idée de la manière dont ses versements sont utilisés.
Elle peut avancer que l’octroi des salaires tient compte des qualifications acquises, des efforts fournis et des niveaux de responsabilités assumées. Les membres du staff technique seraient alors, de ce point de vue, deux a huit fois plus pourvus en compétences et plus utiles pour le pays que ceux du staff gouvernemental. Cela se peut dans une logique qui est difficile a comprendre et a admettre. En tant que simple citoyen qui ne dénie le mérite a personne, je ressens vite et fort l’impact, positif ou négatif, de l’action du gouvernement sur ma vie. A l’inverse de cela, hormis une joie passagère qui me ravit quand notre sélection remporte une victoire, ou une peine tout aussi passagère qui me désole quand elle subit une défaite, je ne vois rien et n’éprouve rien de plus. Ma condition matérielle ne se modifie pas.
La FRMF peut encore évoquer le bonheur inégal, infini et sans prix qu elle offre a l’ensemble du peuple marocain. Elle serait la seule capable d’une telle générosité. Ici aussi, il y a une anomalie déconcertante. De l’indépendance de notre pays a ce jour, nous avons réalisé un exploit unique : une coupe d’Afrique en 1976 auquel on peut ajouter des émotions fortes, malheureusement sans suites. Il s’agit notamment d’une victoire, en première mi-temps, contre la sélection allemande en coupe du monde de 1970, une victoire mémorable contre le Portugal en 1986 et d’une place de finaliste en 2004 en Tunisie. Mais que de déceptions par ailleurs! Au dernier classement des sélections du monde par la FIFA, nous avons reculé a la 85ème place.
Précisons que ce point de vue ne veut être ni un réquisitoire contre notre football et ses responsables ni une rébellion contre le sport et ses vertus. Nous voulons plutôt signaler les répercussions négatives du traitement très privilégié dont bénéficie exclusivement son staff sur la logique de notre gouvernance et sur le système de valeurs qu il inculque a nos jeunes. Nous voulons dénoncer ce que nous considérons une anomalie exagérée parce qu elle peut avoir un impact pernicieux sur notre population dès lors qu elle découvrira qu elle est défavorisée et sur l’orientation de notre jeunesse dès lors qu elle s’apercevra que les efforts, même égaux, ne sont pas appréciés de la même façon. l’inégalité criante entre les professions dicte automatiquement des choix pervers aux jeunes. Si j avais encore vingt ans, devant tant de disparités, je raisonnerais comme beaucoup d’entre eux, je tournerais le dos aux hautes études, a toutes les activités et me dirigerais vers le football. Je serais peut-être culturellement plus modeste mais socialement, j aurais plus de confort et de considération. Je ne rêverais même pas de présider un gouvernement mais de trôner a la tête d’une sélection de football et rien qu a ça, obstinément a ça. Dans une société qui glorifie la fortune matérielle, le choix est rapidement arrêté, le go»t tout aussi rapidement acquis et le vide, ailleurs, est vite fait. Dans ces conditions, on peut reprocher au football de se détourner de la vocation qu il partage avec les autres disciplines sportives, a savoir être un vecteur de valeurs comme le dépassement de soi, le respect, la solidarité, la discipline et la justice et devenir une fin en soi qui consiste a cultiver le culte de l’argent, a favoriser la discrimination sociale et professionnelle. Or, pour se développer, assurer sa croissance économique, un pays a besoin de compétences variées et de valeurs qui exaltent toutes les activités utiles.
Ahmed BENHIMA

Ahmed BENHIMA
Eljadida.com

Auteur/autrice