Le pays des tazotas a l’heure du caroubier

La brume s’était levée et la zaouia de Tibari surgissait ainsi, toute blanche, dans la fraîcheur de ce matin d’hiver. De la haut, on pouvait voir les douars d’oulad Kamal, d’O.Ghanem, de Lakhdar, d’O El Haj, de Jouaouala… La vraie campagne, et au loin, les dômes de tazotas. Car, ici, dans cette commune rurale d’H Ocine, on est en plein cœur du pays des tazotas. d’ailleurs, on peut y rencontrer le dernier des maâlems celui dont le père du père du grand père a bâti ici la première tazota et ils se sont transmis, de génération en génération, l’art et la manière de les construire. Ainsi, tout n’est pas tout a fait perdu dans le savoir faire des tazotas. Ces petites pyramides, en pierres sèches qui servent surtout a engranger le foin, ou a parquer le bétail. On y trouve aussi des toufris, des cavités creusées dans le calcaire qui servaient d’abri, voire d’habitation… (1).

L’hiver a été pluvieux, les pluies abondantes, cette année, et ça se voit. Partout l’herbe verte, colorée par des pâquerettes et des soucis sauvages. Ca sent bon la campagne. Et puis, la terre est grasse, par la. Comme du bon limon. Chargée de promesses. Mais il y a peu d’arbres plantés : Des eucalyptus, près d’une école, des figuiers, rabougris par l’hiver et malades de la pollution venue de Jorf Lasfar, comme le soutiennent les paysans du coin qui savent ce qu ils disent, des jujubiers, des cactus. Et des cactus. Et des cactus. Tiens ! la-bas, tout près d’une tazota, un arbre en pleine forme. Il semble défier les mauvais embruns venus des usines chimiques de Jorf, a 27 kms de la. Il fait de la résistance. c’est un caroubier. Il tiendra celui-la, quoiqu il arrive. Quelques autres, la-bas. Alors, pourquoi de pas en planter ici, la, la-bas… le long des routes, dans les cours des maisons. l’espace est la, il faut l’occuper. Il sera occupé.

En effet, l’association El Hanaâ du village de Sidi Abdallah Tibari, qui regroupe des paysans d’une dizaine de douars, a décidé de ne pas attendre qu on s’occupe des fellahs. Ensemble, ils ont décidé de réunir leurs efforts, leurs expériences, leurs réflexions, leurs appuis. Ils ont fait des projets, ils en ont discuté entre eux. Et puis, c’est parti dans les chemins administratifs de la capitale des Doukkalaun peu plus long que les chemins de campagne, pas forcément plus droits, avec des barrières la-aussimais leur courage a payé. Un vaste projet, soumis aux Autorités dans le cadre de l’INDHun projet ambitieux. Qui fut accepté. d’abord, l’alphabétisation des adultes. Les femmes, les hommes prennent le chemin des écolestoutes spéciales, pour apprendre a lire. c’est déja beaucoup. c’est surtout capital. Et puis, le reste, le gros des projets avec les gros bulldozers qui viennent tout juste de terminer les travaux de terrassement d’une route qui désenclavera ces douars où l’on ne pouvait accéder jusque la, qu en carriole. Une voie qui traverse maintenant la campagne sur 17 kms, entre la route de Casablanca/ Azemmour et la route d’Ouled Frej/ Settat. Ca sera la voie royale des tazotas, avec un beau circuit a peaufiner pour développer le tourisme rural dans cette belle région.

Et puis, l’Association El Hanaâ avait dans ses cartons le projet d’adduction d’eau, avec l’ONEP. Des tuyaux traversent maintenant les champs, sous terre, depuis la station d’O.Frej, jusqu aux douars… Une révolution. La campagne va pouvoir prendre une nouvelle allure.

Mais les paysans sont terribles. Ils sont tenaces, ils veulent aller encore plus loin dans la transformation de leurs douars et de leur environnement. Ils veulent planter des arbres. Mustapha Belmatoubi, le Président d’El Hanaâ, Mustapha Sijam, le secrétaire général, Ahmed Boukil, Ingénieur en chef des Eaux et Forêts qui, depuis qu il a pris sa retraite anticipée, sillonne encore plus le Royaume qu il connaît mieux que ses poches, ils ont réuni les paysans a la Zaouïa. Ils ont expliqué, partagé avec les paysans leur savoir, autour d’un verre de thé et du bon pain de campagneIl fallait leur expliquer qu on parle partout du réchauffement de la planèteOui, il va faire plus chaud dans les années a venir. Dans les campagnes, l’humidité des champs va alors vite s’évaporer, et la sècheresse gagnera, qui tuera les récoltes, qui appauvrira les fellahs… c’est un raccourci, certes, mais c’est un langage que les paysans de Sidi Abdallah Tibari ont vite compris. Mais quel arbre choisir ? l’eucalyptus, il y en a. Ca fait de l’ombre, certes, mais ça tue le sol et ça boit beaucoup d’eau. 300 l’par jour environ. En revanche, le caroubier, peu d’entretien, frugal, robusteQue des qualités. Et puis, surprise pour les fellahs du coin, il y a tout a côté une usine de transformation de la caroube en aliments pour volailles. Les paysans la voit. Elle est la. c’est OMNIA INTAJ . Et son propriétaire, M. Karim Eddahabi a expliqué a quelques uns d’entre eux qu un caroubier, a pleine maturité, peut rapporter chaque année 10.000 Dh. Quoi ? 10.000 Dh ? OuiAlors, vous vous imaginez. Vous en avez dix dans votre champ ! Du coup, tous les paysans en ont voulu. Et M. Bernoussi, le Chef des Services Provinciaux des Eaux et Forêts d’El Jadida, tout comme son homologue de Safi, M.Mohamed Radi, ont spontanément, généreusement, accédé a leur demande. Deux petites camionnettes, 600 caroubiers d’un coup. c’est fantastique.

Et ce vendredi 25 Janvier, les paysans se sont donné rendez-vous a la Zaouïa de Sidi Abdellah Tibari . Bien s»r, tous n’étaient pas la, car certains étaient partis au Souk d’Haouzia et une journée de souk, dans le bled, c’est quand même important !… Mais ils avaient demandé a leur voisin de les représenter. On a procédé a la distribution des caroubiers.on a donné le premier coup de pioche devant la zaouïa, la où justement viennent camper les fidèles durant les moussems. Ahmed Boukil a planté le premier arbre, en expliquant comment s’y prendre. Mais tous avaient déja creusé dans leur champ les trous ( 60x60x60cm minimum !Ca prend mieux quand le trou est plus large. Comme les fondations d’une maison).On a prié pour que Dieu bénisse cet arbre et ce geste. On a promis de se revoir l’année prochaine, pour savoir qui a la meilleure plantation. Un concours sera ainsi organisé. Ca sera, a Tibari, la journée du Caroubier… Et tout le monde est reparti chez soi, plus que satisfait.. Pas tout a fait cependant. Ils en réclament encore !…

Et déja, les paysans des douars voisins veulent en faire autant.

(1) : cf « Visite au pays des tazotas », du 26/09/07

Michel Amengual

Auteur/autrice