Le sport en deuil, Me Abderrahmane El Khatib n’est plus

L expression de Hampathé Ba, le grand écrivain, poète et ethnologue malien, Prix Noble de littérature nous vient toujours a l’esprit, a chaque fois qu un sage nous fausse compagnie.

«Quand un vieil africain disparaît, c’est une bibliothèque qui br»le», disait le grand écrivain, qui a puisé sa citation de la littérature orale africaine, de ses mythes et légendes.

Qui n’a pas fréquenté le sport national, sans avoir rencontré, au moins une fois, sur son parcours Me Abderrahmane El Khatib ? Jdidi et fier d’être doukkali, ce grand sportif a offert son premier maillot vert et blanc, inspiré du Red Star au Difaâ pour lequel il jouait a chaque fois qu il revenait de France, où il poursuivait ses études de droit, dans les années 50.

A la plage, Me Abderrahmane a joué pieds nus, tout autant que beaucoup de gens, dont on citera les plus illustres, Driss Chraïbi, l’homme du «Passé simple» ou encore Abdelkbir Khatibi qui, lui, le raconte dans «Mémoire tatouée». Me Abderrahmane a, aussi, joué contre Larbi Benbarek, qui nous «hypnotisait comme un cobra et il tenait toujours sa promesse, quand il voulait me faire un petit pont»! Quand on était face a Me Abderrahmane El Khatib, on avait affaire a un encyclopédiste, qui avait ceci de plus qu il était sportif.

Il a été Président du Wydad, le grand Wydad et il en gardait de très bons souvenirs, qu il n’hésitait pas a déballer lors de discussions, pour narguer ses interlocuteurs, de Me Hamid Lahbabi, qu il traitait de «novice», au général Housni Benslimane auquel il disait avoir appris les règles du football et surtout son éthique.

Quand il y a eu, a un moment, litige entre la FRMF et le groupe des avocats qui avait pris la direction du Wydad, c’est Me Abderrahmane El Khatib qui est intervenu, en tant qu arbitre, sollicité par ses pairs, pour trouver une solution a la crise WAC-FRMF. Et il faut reconnaître qu il avait la fibre wydadie, sans jamais l’afficher de manière gratuite, sachant les complexités d’un match de football.

Quand il parlait, tout le monde se mettait a l’écoute, y compris feu Maâti Bouabid, qui avait joué a un niveau moindre, il faut le reconnaître que Abderrahmane Khatib. Il pouvait être un grand témoin du sport marocain, si nous avions des universités ouvertes sur les personnalités qui ont fait le sport national et en ont tissés le corpus, a la fine maille près, méticuleusement avec science, tact et savoir.

Que de fois nous l’avions invité a rédiger son autobiographie, très riche, en tant qu avocat, mais aussi en tant qu ancien sportif, mais a chaque invitation, il déclinait l’offre avec élégance, sans vouloir choquer car, malgré tout, cet homme avait la qualité de tous les sportifs, enseignée par Albert Camus, ancien gardien de but et qui disait avoir tout appris de la morale et de la modestie, grâce au football. Feu Abderrahmane El Khatib était tout ça a la fois, homme de parole et d’éthique et grand modeste.

Après son départ, il s’est ingénié a lancer un défi aux jeunes chercheurs, travailler sur son action et son oeuvre, car il faut mesurer le poids de cette disparition qui nous frappe tous, avec cet ancien footballeur cultivé, qui a pratiqué Larbi Benbarek, a l’ombre de Rousseau, Voltaire et des Lumières
ON sait que le football a été longtemps considéré comme une “vilaine chose”, réservée aux enfants difficiles et aux ratés. Mais voila que feu Abderrahmane El Khatib nous apprend le contraire, a lui et a sa génération, dans les années quarante où les bacheliers et les universitaires se comptaient sur les bouts des doigts d’une seule main. El Khatib a prouvé que le sport et le football pouvaient servir de moyen de promotion sociale et d’intégration économique, lui qui a tout réussi, en tant que footballeur et, ultérieurement, grand avocat.

Aujourd hui, après toutes les nombreuses mutations qu ait connu le sport, on peut trouver la chose plus ou moins normale, mais dans le Maroc du “Passé simple”, inspiré a Driss Chraïbi par Mazagan, on a affaire a un autre monde plein d’archaïsmes et où jouer au football équivalait a la débauche. En cela, Me Abderrahmane El Khatib a innové et passé, pratiquement du côté des réformistes, dont il faisait ses amis et ses complices.

El Jadida et la génération des années 50, qui a donné un fort mouvement syndical, parmi les Français démocrates et les Marocains engagés, sans oublier la communauté israélite du Mellah et de Si Daoui, avait pour loisir le football au sein du DHJ, totalement et radicalement engagé au sein du mouvement national, sur les traces du Wydad qui a inspiré le combat en y impliquant le football. Jouer au foot, a un ce moment-la, c’était, aussi, risquer sa liberté, une liberté que Me Abderrahmane El Khatib a défendue sur tous les fronts, dont celui du sport.

Adieu Me Abderrahmane El Khatib!

Belad BOUIMID
Albayane

Auteur/autrice