MAZAGAN (AL-JADIDA) : Le berbère lusitanisé

Mazighan des textes arabes médiévaux, Mazago des Portugais ensuite, Al Mahdouma et enfin Al-Jadida, ces noms illustrent bien l’histoire mouvementée de tout un pays. Si le site actuel d’Al-Jadida fut d’abord peuplé par les Amazighs marocains qui ont marqué leur présence par quelques constructions que l’on ne peut retrouver aujourd hui, Mazagan se révèle au monde avec la pénétration portugaise.

Etablissant des relations commerciales avec Azemmour, Safi et Mazighan depuis la deuxième moitié du XV ème siècle, les Portugais manifestent ensuite leurs intérêts expansionnistes et prennent Mazagan en 1502. En 1514, une première citadelle est achevée, œuvre de Fransisco et Diogo de Arruda (que je nomme Oulad Harrouda), un chef-d œuvre que l’on ne trouve nulle part dans le monde lusitanien (=portugais), c’est l’actuel joyau de tout le Maroc, la citerne portugaise a moitié souterraine et aux 25 colonnes inédites. Sur sa terrasse, on peut encore voir les vestiges de la première église, celle dite de la Miséricorde. Une citerne sera bâtie près de Lisbonne, celle de Sao Juliao da Barra, mais elle est loin de se mesurer a notre citerne de Mazagao.

En 1541, la citadelle est agrandie pour devenir une forteresse, une première du genre au Maroc et dont on n’aura plus du similaire. Suivant un plan magnifique de l’Italien Benedetto di Ravenna, qui nous rappelle les esquisses de Leonardo da Vinci, la forteresse prend la forme séduisante d’une étoile a quatre branches. Les murailles ne sont plus rectilignes, mais savamment infléchies en leur milieu vers l’intérieur et dont les extrémités (intersections) sont terminées par des bastions très chic mais qui doivent faire peur a tout assaillant de cette place forte. Le chemin de ronde qui constitue le circuit pittoresque sur la muraille fait presque 10 m de large, pour laisser circuler les chariots porteurs de canons massifs de cette Europe renaissante. Le parapet de la muraille est percé de canonnières aux bords en pierre qui suscitent l’admiration. De ce chemin de ronde l’on a aujourd hui une vue prenante sur toute la ville, sur l’océan et sur Azemmour et le Golf Royal de Haouzia.

De nos jours, l’on peut encore admirer l’art gothique et de la Renaissance a travers les éléments de la citerne et des deux églises restantes des quatre qui se trouvaient a l’intérieur de cette petite enclave qui tournait le dos au continent, ouverte sur l’Océan et savamment défendue par un fossé qui prolongeait les accolades de l’amant de Mazagan, l’Atlantique, dans une complicité bénie par les Dieux.

Ce n’est qu en Mars 1769 que Sidi Med b. Abdallah parviendra a libérer Mazagan. Elle restera déserte pour environ 50 ans et devint presque en ruines, d’où son appellation Al-Mahdouma. Sous Moulay Abderrahmane (1822-1859), l’ordre est donné pour repeupler la ville, ce qui sera chose faite et l’on rebaptise la ville du nom d’Al-Jadida, la neuve, en signe de purification d’une contrée occupée jadis par les infidèles. La Grande Mosquée qui épouse l’ancien Palais du Gouverneur de la forteresse et dont le minaret n’est autre que l’ancienne tour de vigie est l’acte spirituel de la ressuscitation de la ville islamique. Une ville où l’on n’a pas détruit les bâtiments des chrétiens portugais ni les synagogues. Deux siècles après, Al-Jadida oublie le colonialisme et s’enorgueilli des chef-d œuvres dont la France l’a dotée, tels le Théâtre Municipal, Bank Al-Maghrib, La Poste, la Trésorerie, la Douane et autres édifices que l’on ne peut pas ne pas admirer en passant par cette ville, même en visite d’affaire.
Mazagan, patrimoine commun maroco-portugais avec ses éléments de singularité et d’universalité, a été classé patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco en 2004. Cette reconnaissance mondiale est a la fois un blason et un poison : une médaille pour un champion qui doit tout faire pour la préserver et être a la hauteur d’une reconnaissance tant recherchée.

A bon entendeur, Salut.

Aboulkacem CHEBRI
Archéologue-restaurateur
Directeur du Centre du Patrimoine Maroco-Lusitanien
Bd Mohamed VI – AL-JADIDA
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