Portraits d’artistes (3) HAMIDI, Le Matre du Cubisme au Maroc « Mais a quand de grandes fresques murales dans nos cités ? »

La terre doukkalie a toujours été une mère nourricière, riche en blé mais aussi en talents. Quelques uns de ses fils et de ses filles, hommes politiques, artistes, écrivains sortis de ses sillons, ont honoré le fronton de sa mémoire, et laissé leurs traces en lettres majuscules dans l’histoire du Royaume. Beaucoup d’entre eux ont emprunté les chemins merveilleux qui conduisent a l’Art.

Or, comment promouvoir l’art et la culture d’origine doukkalie a travers le Maroc mais aussi au dela ses frontières, sinon en utilisant la Toile qui permet, par un simple clic, de mieux connaître la vie et l’œuvre de ceux-la même qui ont donné aux Doukkala leurs plus belles lettres de noblesse. Ces toiles sur lesquelles s’expriment ces artistes rejoindront ainsi la grande Toile universelle d’Internet.

c’est donc une immense galerie d’art virtuelle que nous avons ouvert, en réservant aux peintres, mais aussi aux sculpteurs, aux artistes doukkalis, si nombreux dans la province d’El Jadida, la possibilité de présenter eux-mêmes leurs œuvres, au travers d’interviews réalisées sur les lieux de leur création, dans leur décor quotidien, lors de rencontres amicales mais ambitieuses.

Nous allons aujourd hui faire plus ample connaissance avec Mohamed Hamidi, l’un des géants de la peinture doukkali, mais aussi l’un des pionniers de l’art cubiste au Maroc ; et ses œuvres ne sont pas sans rappeler celles du grand peintre cubiste et surréaliste Paul Klee.

Mohamed Hamidi est né a Casablanca, en 1941 ; il a commencé ses études artistiques a l’Ecole Supérieure des Beaux Arts de Casablanca, avant de partir pour la France et y suivre une formation a l’Ecole Nationale Supérieure puis a l’Ecole des Métiers d’Art de Paris. Diplômes en poche, il rentre au pays et,en 1969, aux côtés de peintres déja avant-gardistes ,tels Mohammed Melehi ou Belkahia el Chebaâ, il participe a une exposition manifeste en plein cœur de Marrackeh, a la place Jamaa el Fna.

Sa notoriété était déja grande ; il participe a plusieurs expositions aussi bien au Maroc qu a l’étranger ( cf en galerie de photos,ci-dessous, la liste de ses différentes expositions) .En 1970, il s’engage dans la peinture géométrique et abstraite, caractérisée par un chromatisme lumineux.

Peintre toujours engagé, Hamidi est a l’origine de l’initiative qui a permis d’orner les ruelles de la médina d’Azemmour de peintures murales. Prêt a relever tous les défis, il restaure un vieux riad pour en faire son rêve : une école d’art et de vie : Dans l’interview qui suit, il a dit une phrase splendide : un enfant est un patrimoine a sauvegarder.c’est ce qu il veut faire de son écoleMais lui-même est resté un enfant d’une tendresse infinie. Ecoutons-le.et pour ceux qui veulent prendre contact avec lui, voici son adresse :
Mohammed Hamidi,
15, rue Ezzohour/ 20000 Casablanca / Maroc
Ou
Atelier Sidi Waâdoud, Azemmour, Maroc
Téléphone : +212/(0)22.20.60.09 et 212/(0)61 76 44 57

Michel Amengual : Depuis 1960, vos toiles voyagent d’un bout a l’autre du monde : Du Maroc a l’Europe, de Paris a San Francisco, de Londres a Rabat, d’Azemmour a El JadidaVous faites figure de géant de la peinture, de phare aussiJe pense également que vous contribuez au dialogue des cultures et des civilisations, si cher a quelques hommes de bonne volonté dans notre monde si tourmenté. Quel regard portez- vous sur la façon dont vos œuvres sont accueillies et perçues partout où elles sont présentées ?

M. HAMIDI : Un phare ! (il rit !).. On ne le voit que la nuit Ma peinture peut être lumineuse non pas dans des endroits obscurs, mais la où il y a un peu de considération pour l’art.

J ai voulu dire par phare, celui qui, par son talent, sa culture, montre aux autres la direction pour aller au bon port

c’est vrai. La peinture ne s’apprécie que par des gens avertis…Mais je dois reconnaître aussi que je suis plus apprécié a l’extérieur du Maroc que dans mon pays. Pourquoi ? Parce qu ailleurs, il existe des structures qui permettent de valoriser une action artistique, par les livres, la musique, la peinture. En revanche, ce que je déplore,ici, au Maroc, c’est qu il n’y a pas de musées, par exemple, pas d’établissements pour accueillir et mettre en relief les œuvres qui le méritentMais c’est vrai aussi que je connais des cadres marocains qui suivent des études supérieures a Paris, et qui n’ont jamais visité un musée, qui ne sont jamais allés au Louvre et qui manquent de connaissance artistique pour apprécier une œuvre a sa juste valeur.

Vous voulez dire qu il n’y a pas de go»t pour la cultureou d’incitation a aimer la culture ?

Mais le go»t de la culture, ça se cultive !Et ça commence quand on est en bas âgeCa commence déja par le milieu primordial, l’environnement où l’on vit, par la cellule familialeMais combien de familles ont un livre a la maison pour donner a l’enfant le go»t d’apprendre, le go»t de lire ? Comment voulez-vous dans ces conditions qu un enfant puisse apprécier la musique, la peinture ou l’écriture ! Pourtant, ce sont des mesures de préventions indispensables contre tous les maux qui peuvent atteindre la jeunesse, la drogue ou la débauche mais aussi contre tout extrémisme et tout endoctrinement nocif a l’être humain.

Le destin d’un enfant passe donc par l’Art ?

Oui, et cela commence dès la plus petite enfance. On veut qu un enfant devienne médecin ou architecte, mais on ne pense pas a élargir sa culture générale qui fera de lui un homme entier.

Vous avez, aux côtés de quelques peintres doukkalis, contribué a donner de la lumière a Azemmour, en incitant les habitants de la médina a faire de leurs murs des œuvres d’art. d’ailleurs, l’un de ces murs a été peint par vous. Une façon de partager l’art et la culture avec le plus grand nombre, de ne pas en faire des œuvres réservées a une élite ? Une façon aussi pour que le peuple, du matin au soir, s’aperçoive que dans ses moindres pas, l’art est vivant ?

D abord, cela permet de sensibiliser les enfants a l’art et au respect de l’environnement. Ainsi, au lieu de déposer contre ces murs des détritus ou un pipi, ils verront que c’est un endroit que l’on respecte et qui doit être respecté. c’est une manière de contribuer a la protection de l’environnement.

Est-ce qu il est difficile de peindre au Maroc ? et de dépasser certains tabous sociaux ?…J ai en souvenir l’histoire que m a racontée une artiste marocaine de grand talent qui avait peint un visage de femme dans un corps de femme, et qui, au moment de vendre son tableau, l’a déchiré car son encadreur lui avait dit que cela n’était pas séant de peindre un corps de femme !

Moi, j ai fait plus que ça ! J ai fait une exposition particulièrement audacieuse pour l’époque ; car il n’y avait sur mes toiles que l’essentiel de l’homme et de la femme. c’était en 1970 je crois. Je l’avais présentée a la galerie Bab Rouah, a Rabat. Et cela m a causé beaucoup de préjudices. Mais je ne vois pas ce qu il y a de mal a présenter l’être humain tel qu il est. On naît nu. Dans les hammams, nous sommes nusIl y a la une part d’hypocrisie que j ai du mal a comprendre. On a le droit de voir ou de ne pas voir, mais je n’accepte pas qu on interdise. La culture, pour moi, ne doit pas avoir d’interdit. l’essentiel, c’est de ne pas blesser. l’homme est libre ! Celui qui ne veut pas regarder tel film a la télé n’a qu a zapper, celui qui ne veut pas écouter tel morceau de musique, peut ne pas l’écouter. De même pour un tableau. Si cela le gêne de le regarder, il n’a qu a détourner son regard. Mais l’artiste doit être libre dans sa création. Et que l’on ne lui impose pas la manière dont il doit vivre ou peindre.

Quel regard portez-vous justement sur la peinture marocaine, son évolution, la place que la société marocaine lui accorde ?

La peinture commence a être prise aujourd hui en considération par de jeunes cadres ; je crois qu il était temps. Malheureusement, l’accès a la peinture est le privilège de gens aisésCar les écoles ne visitent pas les galeries de peintures. A l’exception peut-être de certaines fondations que visitent des élèves de certaines écoles privilégiées, comme les missions française ou espagnole. Mais l’état est loin de comprendre la nécessité d’initier nos élèves a l’art.

Je suis surpris de voir que dans la province d’El Jadida, véritable pépinière d’artistes peintres, il n’y ait pas de lieu public où l’on puisse voir de façon permanente, comme a Essaouira, quelques œuvres des artistes locaux

Mais le lieu est facile a trouver. Le plus difficile est de sensibiliser la population, d’emmener les élèves a visiter des expositions. Il y a eu, tout dernièrement, une exposition a la Galerie Chaibïa, d’une vingtaine de peintres doukkalisCombien de classes d’élèves sont allées la visiter. Combien d’adultes, même, l’ont visitée ? Encore faudrait-il que ces visites soient encadrées pour que les toiles puissent être expliquées. Pourquoi donne-t-on tant d’importance au foot et pratiquement rien a la culture.

Mais je pense que cette situation n’est pas propre ni aux Doukkala, ni au Maroc, c’est aussi hélas ! le lot de très nombreux pays, notamment du Tiers-Monde ?

Bien évidemment. Regardez dans beaucoup de pays du Tiers monde : Quand le problème quotidien est de trouver son pain, comment peut-on nourrir son esprit ?

Les droits de l’Homme commencent par avoir le droit au pain !

c’est un problème que l’on rencontre un peu partout. Mais la sensibilisation a l’art est déja tout un problème. Pourquoi l’enseignement des arts plastiques, de la peinture, de la musique n’est pas dispensé partout dans nos écoles ? c’est pour cela que je suis en train de monter,a Azemmour, dans une vieille maison en cours de rénovation, un atelier où l’on initiera jeunes et moins jeunes aux arts plastiquesCe projet me tient particulièrement a cœur et j espère qu il réussira. Je voudrais surtout démystifier l’art auprès des enfantsCar tous les enfants sont des artistes qui s’ignorent. Chaque enfant est un patrimoine qu il faut sauvegarder, dont il faut nourrir l’esprit et pas seulement le corps.
Je ne comprends pas pourquoi a El Jadida, ville qui a donné au Maroc tant d’illustres personnalités, il n’y a pas un grand conservatoire où toutes les disciplines artistiques seraient enseignées. Ca serait comme une banque, une caisse d’épargne où nos enfants d’aujourd hui fructifieraient plus tard . c’est comme une terre. Si on ne la travaille pas, elle ne donne rien, et je crains qu on laisse de côté des destinées d’enfants qui pourraient plus tard être prestigieuses.

El Jadida est en pleine mutationComme d’ailleurs beaucoup de villes. Quelques sculptures ornent certains lieux de la villeMais, pour une cité aussi chargée de mémoire, ne pourrait-on pas également présenter de grandes fresques murales, qui, tout en retraçant pour les habitants des pages de leur histoire, les habitueraient a la culture artistique ? Comme au Mexique, par exemple, où de grandes fresques historiques ornent les principaux bâtiments de Mexico notamment, tout en relatant les combats que les Mexicains ont eu a mener au cours de leur passé ?

La, vous abordez, cher ami, un point qui me touche particulièrement. Car je suis un spécialiste de la fresque. Quand j ai débuté a Paris mes études artistiques, j ai commencé par la fresque ; il m a été donné alors de rencontrer un très grand spécialiste des fresques qui travaillaient sur les sarcophages égyptiens du Louvre. Je suis devenu pendant plus de 6 mois son assistant, et j ai plus appris avec lui sur le terrain qu a l’Ecole des Beaux-Arts en quatre ans.
Je me suis spécialisé par la suite dans l’art monumental : la fresque, la tapisserie, et le vitrail.

Mais que manque-t-il pour qu on englobe cette dimension dans la réflexion, au moment de l’établissement d’un plan de la ville ou d’un quartier ? Que ne rassemble-t-on pas autour du projet, les peintres, les sculpteurs et les architectes pour que l’on donne a la ville un supplément d’âme. Que faudrait-il pour que cette étincelle entre les gens qui décident et les artistes qui créent puisse jaillir afin que les villes soient plus attirantes, plus humaines ????

c’est un problème d’Etat. Quand on planifie par exemple la construction d’un ensemble administratif, il faut qu il y ait un projet global. Cela existe en Europe. En France, par exemple, et depuis quelques temps a Tunis, 1% sur le prix global est réservé a une œuvre d’art. Un marché est passé qui fait appel a un artiste pour animer l’espace. c’est un travail d’équipe. Mais au Maroc on en est encore loin. Et c’est dommage.

Est-ce qu un peintre, avec son langage particulier, peut être considéré comme un messager de son temps ?

L’artiste, parce qu il est doté d’une certaine sensibilité, a forcément un regard particulier et voit la vie d’un autre angle, sous une autre optique. Et c’est cela que nous voulons faire partagerL Art est fait pour être partagé. d’ailleurs, quand je fais une exposition, je réunis les œuvres que j ai réalisées pendant un certain temps et je les mets en public, comme un musicien partagerait son concertou une pièce de théâtre. c’est la notre plaisir.

Parlez-nous maintenant, voulez-vous, de votre travail de créateur. Et d’abord, pourquoi avez-vous choisi la peinture comme moyen d’expression.

Au tout début de mes études, je faisais du Droit, mais je me suis vite rendu compte que je n’étais pas fait pour ça. Alors, sous les conseils de mon ami, l’éminent Ahmed Charkaoui, je suis allé aux Métiers d’Art. Mais je n’étais pas fait non plus pour les arts graphiques ; et c’est alors que j ai décidé de faire de la peinture a l’Ecole des Beaux Arts a Paris. Et si c’était a recommencer, je ferais la même chose.
De quelle façon je travaille ? d’abord, j ai un plaisir a être tout seul, enfermé dans mon atelier pour travailler. J adore la solitude, je dialogue avec ma peinture, avec une toile vierge ; une touche, comme un mot, et ça y est, le langage est parti.

Quand je m arrête sur vos peintures – des formes géométriques, des couleurs savamment agencées – j ai l’impression – et pardon de la comparaison, – de voir des œuvres cubistes qui me rappellent Paul Klee. c’est presque un travail d’architecteet un travail de paysan aussi. Paysan, car il suffit de regarder les champs qui nous entourent, en ces temps printaniers : On voit des carrés rouges de coquelicots, des losanges jaunes de soucis, des ronds blancs de marguerites et des triangles verts de bléBref, du Hamidi a l’état nature ?

c’est vrai que j ai un côté paysanJe suis la, a Azemmour, juste a côté du fleuve et de la mer, et c’est la où j aime a me retirer. Mon coté architecte ? Je dirais plutôt chorégraphe. Je change des lignes de place ; et j aime changer de style.

Et pourtant, malgré vos styles différents, on reconnaît tout de suite votre marque Par où vous commencez lorsque vous vous mettez devant votre toile ?

Par une provocation ! Je prends une couleur, une ligne mais je m amuse. Mais je m amuse très sérieusement
Je commence par des traits comme dans une conversation, des mots qui s’enchaînent,et des phrases naissent. c’est comme un fleuve qui vous entraîne, mais il faut savoir nager.

Quel est pour vous le tableau idéal ?

Une forêt, un jardin La nature. Un tableau est encadré, il a donc ses limites. La nature est infinie. c’est un merveilleux tableau.

Qu attendez-vous du regard de l’autre sur votre œuvre ?

c’est vrai que des gens s’interrogent sur la signification de mes toiles. Mais d’une façon générale, je crois être apprécié. A Londres, où je viens d’exposer, j ai remporté un grand succès et la presse a été très élogieuse. Mais j aurais aimé que ce que l’on ressent ailleurs, on le ressente ici aussi. Mais ne dit-on pas que l’on n’est jamais prophète dans son pays.

Quelle est votre couleur préférée ?

Je dirai le vert.

Votre forme préférée ?

Le cercle.

Votre musique préféré, car je sais que vous peignez en musique ?

J aime beaucoup la musique qui me repose, le violon, Chopin

Quel est pour vous le meilleur moment de la journée pour peindre?

J aime beaucoup travailler le matin. c’est en quelque sorte mon petit déjeuner.

Et si vous n’aviez qu un seul pinceau, et qu une seule couleur, qu en feriez vous ?

Avec le blanc de la toile, et le noir d’un pinceau, on peut faire déja beaucoup de choses

Comme le peintre français Pierre Soulages ?

D ailleurs, il y a tellement de blanc et de noir différents et tellement de nuances!

Et par introspection, quelle question, pour finir, vous vous poseriez, sur vous, en tant qu homme et sur vous en tant que peintre ? Quelle énigme se cache en vous ?

Lorsque j enseignais, il y avait toujours en moi le peintre qui faisait des reproches a l’enseignant que j étais. Il y a toujours un duel entre l’homme et le peintre, et c’est le peintre qui finit toujours par l’emporter. Mais j ai eu beaucoup de plaisir a enseigner car j ai toujours grand plaisir a partager ce que je fais.et les étudiants que je rencontre me le rendent bien.

L’art, c’est un don ?

Je le crois ! Je suis né dans une famille de classe très moyenne ; et en 1959, j étais le plus jeune étudiant a Paris, a la Cité universitaire, et c’est le peintre qui l’a emporté.

Et quel reproche auriez-vous fait au peintre que vous êtes ?

Je crois qu il manque d’audace. Je suis timide, je n’aime pas me mettre en avant, Je suis beaucoup plus peintre qu homme d’affaires

Sans votre timidité, vous seriez sans doute un artiste autre ; la aussi réside votre élégance ! Merci pour ce moment de bonheur que vous venez de m accorder.

Michel Amengual
Eljadida.com

Auteur/autrice