Pourquoi écrire ?

Grain du Bled »1 ou Pourquoi écrire ?

Picasso a dit un jour qu un tableau ne vit que par celui qui le regarde ; le texte lui ne vit ; et n’existe que par celui qui le comprend, déguste son go»t et scrute non seulement ce qui est explicite ; mais ce qui est en filigrane aussi.

Depuis la nuit des temps, nos ancêtres ont cru a ce culte qu est l’Ecriture. Ils traçaient des grimoires sur les murs, sur les pierres. A travers le temps l’Ecriture a connu plusieurs changements et métamorphoses.
En fait écrire est indispensable a la vie, écrire c’est agir, c’est échanger ses idées, c’est échanger ses points de vue ses préoccupations et ses rêves.
Paul Ricœur a dit : « la destruction est un moment de toute nouvelle fondation. ». Cette destruction qui se veut comme étant une fondation, je l’ai rencontré en lisant le Roman du Docteur : Habib Daim Rabbi, intitulé Grain du Bled (ZARRIATE LBLAD)
Une approche immanente du roman (écrit en arabe), nous décèle une authenticité et une originalité incomparables.
De prime abord, le roman s’avère être un roman du bled. Certes l’ancrage temporel, spatial, et langagier ; se référent a une réalité purement marocaine. En effet, notre langage maternel a savoir le dialectal enferme dans ses entrailles des mots de l’arabe classique.
L’écrivain nous renvoie a l’étymologie des mots, a leurs graphies conçues correctement a titre d’exemple : Dayl omak (La queue de ta mère) le commun des mortels l’articule autrement Dine omak (la Religion de ta mère) chose qui parait insensé sinon dingue. Le romancier amalgame le classique et le dialectal, cet usage n’est nullement arbitraire mais fonctionnel.
Le roman Grain du Bled est un roman « local» .Il défie l’archétype structural du roman .En effet, le présent roman n’oscille pas entre la structure romanesque occidentale ni celle orientale.
A travers la narration, on capte les traits du génie de l’Ecrivain. Sa fascination émeut ; et a travers le déroulement de l’action, il dévoile la réalité verbalement ; et dévoiler c’est vouloir changer.
A cet égard, j avance sans aucune réserve ,que l’objectif du narrateur est de « changer » le contenu et le contenant .En fait il raconte ,et recourt a des situations humoristiques ; a travers lesquelles ;il crée des effets stylistiques .L humour noir devient un outil pour changer le statu quo ,il le remplace par un autre horizon d’attente
Il interroge les mentalités ; les mots et les maux avec un humour révélateur .Il peint le vécu et le rencontré ; il nous dévoile devant nous même en vue de remettre les mots et les faits en question .Il crée un écart, écart qui se veut innovation, création.
L’e roman se veut le miroir qui reflète notre langage, qui nous est intrinsèque. Nos visions du monde, il reflète par sa transparence, notre bassesse qui règne ici bas, nos faiblesses sous leurs nombreuses facettes et avec mille et une couleurs .Donc, le narrateur essaye de peindre cette réalité percée, trouée ; il ne nous l’embellit pas ; mais il l’expose nue, avec ses valeurs, ses contradictions ; ses manies et ses préoccupations.
Et « pour (la) faire surgir il faut un acte concret qui s’appelle la lecture »(Sartre)
On se dévoile par la lecture .En fait lire devient se dévoiler.
Le Docteur Habib Daim Rabbi scandalise, crée l’écart, la différence. Cet écart se concrétise sur tous les niveaux entre autres, on peut citer : le niveau rhétorique, le structural ; le narratif et le stylistique.
Le roman se veut, par excellence, un terrain d’investigation très riche .En effet, l’humour est doublement utilisé, il crée des situations d’un rire noir, on rie et on remet les situations, les arrières fond idéologiques et les clichés socioculturels.
Le narrateur se veut encore, unique en son genre, dans la mesure où il nous offre un récit où la lecture devient une autre écriture .Une (re)écriture d’un autre degré et avec d’autres techniques.
Le plaisir de lire est un pacte entre le narrateur et le lecteur/fictif (narrataire).En offrant au lecteur un pacte, le narrateur tend en quelques sortes un piège : il veut plaire le lecteur fictif, l’intéresser, ou le convaincre
Une lecture créative, loin de « tuer » le plaisir de lire, ne fait que l’aiguiser, loin d’étouffer la sensibilité, elle contribue a la rendre plus vive, plus dynamique, plus active.
La lecture avec l’Ecrivain H. D. Rabbi, bat en brèche les prototypes. Le roman s’avère être une occasion pour participer au jeu de l’innovation.
Lire devient une tâche exigeante, lire est a la fois un divertissement et avertissement. Avertissement pour un lecteur passif non averti. En fait, le lecteur n’est pas un simple consommateur, mais le lecteur virtuel de D. Rabbi est un actif voire un Créateur qui revêt le statut de l’émule du Narrateur armé, qui se veut omniprésent, c’est le Dieu qui manipule non seulement ses personnages mais qui peut aller jusqu a manipuler le lecteur fictif.
La narration n’est pas du tout une répétition du schéma classique ; mais en narrant le narrateur nous surprend, nous charme.
« l’art est un moyen de conquérir »(Sartre), dans ce sens narrer devient conquérir ; et pour conquérir on a besoin d’armes, chose dont le narrateur dispose. On lit ; on ne peut pas rêver ; vu l’absence d’une synopsis d’amour. On rêve pas mais on devient comme un soldat qui a peur d’être encerclé ; envahit par les soldats de l’ennemi, a savoir les astuces narratifs
Dans ce roman alternent des descriptions d’attitudes ;des paroles rapportées et la mention des pensées cachés qui expliquent les gestes ;les paroles et les implicites d’ordre socioculturel .La description devient fonctionnelle dans la mesure où elle donne des renseignements d’ordre psychologique et social sur des personnages (portraits)
Dans son livre Qu est ce que la Littérature ? J. P. Sartre a écrit : » l’objet littéraire est une toupie, qui n’existe qu en mouvement permanent .Le déroulement des actions se fait d’une façon mouvementée et fascinante.
En lisant Grains du Bled je vous conseille d’être vigilant car la surprise est élément permanent et vital dans le roman. Le lecteur virtuel revêt le statut du créateur ; celui qui participe au jeu narratif et non un simple récepteur /consommateur.
En fait le passage : exercices pratiques (pour tester la stupidité) nous montre combien il faut être habile en abordant le roman.
Pour clore je vous invite a une lecture créative du roman ; car il vaut une lecture avec un grand”L.”

1- Zarriat Lblad, Habib Daim Rabbi, Imprimerie AlAhmadya, Casablanca, 2005.

Habiba zougui

Auteur/autrice