Un enterrement bien de chez nous

Pendant cette matinée, quelque chose n’allait pas très bien dans notre service, il y a comme un signe sombre, la fin de quelque chose. l’ambiance est électrifiée, la nouvelle du décès de la mère de notre collègue Mhammed vient de tomber :

– Elle est morte ce matin a Casablanca chez ma sœur, l’ambulance la ramènera a Had Ouled Frej ou elle sera enterrée après la prière de « DOHR », nous dit au téléphone Mhammed, en recevant les condoléances de toute l’équipe du plateau.

MHAMMED, notre collègue originaire de Had Ouled Frej, est un homme apprécié de tous, un mec tranquille, qui a quitté depuis longtemps sa terre ancestrale, pour s’installer a El Jadida, loin de la promiscuité du douar, loin du Patriarche, surnommé EL MHARRAK, son propre père, un homme droit et pieux, décédé il ya sept ans, et dont l’âge approchait le siècle.

La décision est unanimement prise, toute l’équipe du Département ira a Had Ouled Frej, histoire de faire une gigantesque BA (bonne action), dans le jargon des « NSSARA ». Le village se trouve a 50 Kms d’El Jadida en direction de Settat. c’est un hameau de 15.000 âmes au cœur du pays des Doukkalas. c’est aussi une place importante dans la production agricole de la région. Pour s’y rendre, prenez la route de Marrakech, au kilomètre 19 a votre gauche, la route sinueuse et étroite traverse la terre des MAACHATES, territoire de prédilection des Tazotas, ces bâtisses de forme circulaire, chues la comme par un étrange destin, construites exclusivement de pierres, et que vous ne trouverez nulle part ailleurs. Ces drôles d’habitations constituent a ce jour, l’une des énigmes architecturales les plus controversées de notre temps.

A notre arrivée a HOF, le cortège mortuaire se dirigeait vers le douar de la défunte. La vieille ambulance de la Commune Rurale dirige la foulée. Derrière elle, la foule des proches, le petit peuple, exécutant la dernière marche funèbre, accompagner la dépouille de la défunte a sa dernière demeure, dans le cimetière qui surplombe le village. La file des voitures ferme la marche, qui trainent, silencieuses, cahin-caha, sur la piste bornée de pierres et de broussaille clairsemée.

Il est 14 heures, le soleil se dresse imposant au dessus de nos têtes. d’une même voix les piétons scandent, dans le feu de la douce canicule, une prière rythmée :
« Seigneur,
Nous tous,
Debout,
Au seuil de ta porte,
Nous réclamons ta miséricorde
O Clément
O Miséricordieux »

D une seule voix, des vieux et des enfants, mêlés aux badauds du coin, qui cheminent, a pas cadencés, priant le tout puissant, au nom de l’âme qui vient d’être libérée du joug infernal de la vie d’ici bas, priant Allah le clément, le miséricordieux, Allah est grand.

« Il n’y a de Dieu qu ALLAH et SIDNA MOHAMMAD est son prophète » (LA ILAHA ILLA LAH SIDNA MOHAMMAD RASSOUL ALLAH). l’approche du cimetière, les marcheurs scandent enfin la formule capitale, la CHAHADA, premier des cinq piliers du musulman, la phrase qui sauve, enfin prononcée, la clé de tous les paradis. l’heure du voyage eternel est la, a quelques pas, a quelques mètres de la ruelle que nous traversons. Le regard s’immobilise, dans le noir, impuissant, la juste derrière cette planche en bois, qui observe le film écourté de toute une vie, passée dans l’enfantement et la dure réalité de la campagne.

Dans la tradition musulmane, celui qui marche avec le cortège funèbre jusqu au cimetière, bénéficie d’un traitement de faveur d’entre les fidèles, dans le cours de sa vie ou dans l’incontournable dessein de sa mort. Il nous est également conseillé de rester près du défunt, de l’accompagner en scandant une prière, implorant la clémence et la miséricorde du créateur, tout au long du trajet. De même, quand vous rencontrez un cortège funèbre, il faut s’arrêter net, par respect au mort, et lui céder le passage, que vous soyez a pied ou en voiture

L’heure fatidique a de nouveau sonné, les quatre fqihs présents dans la cérémonie de l’ensevelissement récitent la Sourate de la fin : « YA SIN ». La tombe est déja creusée, profonde d’un bon mètre cinquante, qui attend la carcasse enturbannée de linceul blanc. Le corbillard est entre les mains des proches, qui descend avec douceur, échoit, prendre sa dernière place, adhérer aux nouveaux éléments : les entrailles de la terre, notre dernier logis a tous. d’ailleurs, je me suis toujours posé la question : pourquoi la sourate « YA SIN » est récitée a chaque enterrement ? c’est vrai que sa simple lecture apporte une certaine sérénité, une paix intérieure qui dépasse la simple récitation. Méditez avec moi ce passage divin : « c’est nous qui ressuscitons les morts et écrivons ce qu ils ont fait ainsi que leurs traces. Et nous avons dénombré toute chose dans un registre explicite » (12)

Finalement, dans la drôle existence que nous souffrons de vivre, qu on soit riche ou moins nanti, propriétaire ou locataire, qu on soit grand ou de corpulence moyenne, qu on soit bien né ou bâtard d’entre les ratés d’ici bas, méchants ou gentils, qu on le veuille ou non, on est tous égaux devant la mort, on retournera tous un jour ou l’autre dans le ventre de notre mère la terre.

Chacun de nous tous se trouvera seul, face a son destin, la moisson de toute une vie.

Tarik BOUBIYA
Ahdate Doukkalia

Auteur/autrice