Un temps pour la poésie a son printemps poésie et enseignement

Le but de cet exposé n’est pas de faire un cours sur la poésie. Il s’agit plutôt de rendre hommage a cet art et a ses créateurs car c’est toujours un plaisir d’honorer un printemps.

Il s’agit, ensuite, de profiter de cette rencontre pour réfléchir a des problèmes qui ont un lien avec les activités professionnelles des professeurs de français dans les espaces d’enseignement public. Aujourd hui, j en ai retenu deux en rapport avec l’enseignement/apprentissage de la poésie.

Le premier problème sur lequel je m étendrai un peu est pédagogique/didactique. J en parlerai en essayant de répondre a la question : « Comment enseigne-t-on un poème » ?

Le second problème sur lequel je m étendrai moins est pédagogique/éducatif. Je l’évoquerai en répondant a la question : « Pourquoi enseigner la poésie » ?

La réponse a la première question d’abord, dépend me semble-t-il, du type auquel appartient notre définition ou représentation de la poésie. c’est lui qui déterminera, a son tour, l’objectif et la procédure méthodologiques de son traitement pédagogique et scolaire. Pour ma part, je distingue schématiquement, deux types de définitions qui préfigurent les représentations de la poésie :

– Un type (A) qui tend vers l’homogénéité et l’uniformité,
– Un type (B) qui tend, lui, vers l’hétérogénéité et la diversité.

Examinons donc tour a tour chacun de ces cas.

Le premier type s’efforce d’uniformiser les définitions, de les contenir dans des formules simples, précises et limitées pour mieux les maîtriser et partant mieux les enseigner. Celles-ci sont consignées dans les dictionnaires et encyclopédies ; elles se profilent a travers les manuels scolaires, a travers les programmes d’enseignement, a travers les Instructions Officielles et même a travers les pratiques de classes. Elles tournent autour de notions telles le sujet, les vers,le rythme, l’harmonie et inscrivent le produit dans la plus haute correction et la plus haute finesse de la langue.

Le second type donne libre cours a l’expression et a l’imagination pour définir la poésie. Ici, on ne parle pas de la définition mais des définitions. Autant de définitions qu il y a de poètes et d’amateurs de poésie. Les formules sont rédigées en termes de sentiments, d’états d’âmes et de prises de positions. Passons en en revue quelques-unes :

Georges Pompidou :

« Lorsqu un poème ou simplement un vers provoque chez le lecteur une sorte de choc, le tire hors de lui-même, le jetant dans le rêve ou au contraire le contraint a descendre en lui plus profondément jusqu a le confronter avec l’être et le destin, a ces signes on reconnaît la réussite poétique »
( Georges Pompidou, Anthologie de la poésie française,L9)

Louis Aragon:

« Il n’ y a poésie qu autant qu il y a méditation, réinvention du langage, ce qui implique de briser les cadres fixes du langage, les règles de la grammaire, les lois du discours. »

« l’art des vers est l’alchimie qui transforme en beauté les faiblesses. »
(Louis Aragon ,Grands Ecrivains, publication de l’Académie de Goncourt)

Nicole Sau

« Les poètes sont les physiciens du sens. Ils prennent les mots pour instruments d’investigation de l’au-dela des mots. Nature universelle dont l’univers physique n’est qu une des facettes. »
(N. Sau est physicien, cette citation figure dans un site internet consacré a la poésie)

La lecture des deux occurrences laisse entrevoir que sur le plan de la formulation, la première privilégie le linguistique et le formel pour réaliser l’uniforme enseignable. En revanche, la seconde privilégie l’effet et la sensation, évoque les sentiments personnels, explore l’inconscient, hisse même les écarts (ailleurs les maladresses) au rang de fines réussites esthétiques et débouche enfin sur la multiplicité qui équivaut d’un point de vue pédagogique a de l’éparpillement, au non enseignable..

Face a ces deux possibilités, l’Institution Scolaire (entendez l’école publique) a recours a des principes, déclarés ou sous-entendus, de rétention et de rejet de la matière a enseigner.

c’est ainsi qu elle ne retient que ce qui s’adapte d’une part, a son système de fonctionnement, c’est-a-dire, le savoir établi, le savoir qui peut se répartir sur les séances et sur les niveaux et qui peut être coulé dans les moules méthodologiques préconisés.

Elle ne retient, d’autre part, que ce qui s’adapte a sa vocation, c’est-a-dire, ce qui peut être, même au prix d’artifices et de sacrifices, noté, mesuré et évalué pour pouvoir effectuer des sélections parmi les apprenants, pour pouvoir désigner « ceux qui réussissent » et « ceux qui échouent ».

De ce point de vue, l’Institution Scolaire ne compose ni avec le savoir en recherche ou en constitution, ni avec l’approximatif ni avec ce qui s’écarte des normes qu elle reconnaît. Certes, il lui arrive de s’ouvrir aux discours théoriques novateurs mais elle ne leur concède rien ou jamais assez pour qu ils s’y installent et y fonctionnent véritablement.

Compte tenu de ces considérations, l’école publique opte évidemment pour le type A . A partir de la, elle élabore ses programmes et ses démarches dont elle ne modifie, au fil du temps, que les appellations et les modes de présentation suivant les théories didactiques en vogue. s’agissant de la poésie, son choix porte systématiquement sur les poèmes qui se conforment entièrement ou partiellement a la définition du premier type :

« Un discours par lequel on exprime ou on suggère un sujet selon une technique qui recourt aux vers, aux rimes et au rythme. »

Le sujet, c’est la thématique de l’expérience humaine dans sa diversité ; la technique, c’est la métrique et la versification.

Dans cet espace d’apprentissage, le poème devient un support pédagogique pour l’élucidation du sens « unique » et pour l’étude :

– De la langue (lexique, syntaxe),
– De la phonétique, de l’intonation, par le biais de la mémorisation, d’où son appellation courante, la récitation.
– De la métrique et de la versification.

Ces activités donnent, bien entendu, lieu a des exercices d»ment notés et comptabilisés.

De superbes poèmes comme « Demain dès l’aube » de V. Hugo (Les contemplations) ou « Le dormeur du val » d’ A. Rimbaud (Poésies) ou même « Déjeuner du matin » de J. Prévert (Paroles), par exemples, sont abordés selon ce schéma, somme toute réducteur (1) qui laisse a bien des enseignants le sentiment désagréable de n’avoir pas été capables de transmettre a leurs élèves le plaisir, les sensations fortes que procurent ces poèmes , c’est-a-dire, « cette chose » que les critiques appellent la littérarité et ce que j appellerai ici, pour une raison de commodité pédagogique, la valeur ajoutée poétique (2). Cette frustration a une cause : l’ école n’a développé aucun outil pour étudier la littérarité ou la valeur ajoutée poétique que j aurai, ici, du mal a qualifier autrement que « magie qui transforme un discours ordinaire en discours exceptionnel » . Ainsi, si je dis a une femme :

« Vous avez de beaux yeux et je suis amoureux de vous »

je n’aurai produit qu un discours ordinaire, je n’aurai fait qu une déclaration d’amour fort plate mais quand L. Aragon s’adresse a Elsa par ces vers :

Tes yeux sont si profonds qu en me penchant pour boire
J ai vu tous les soleils y venir s’y mirer
S y jeter a mourir tous les désespérés
Tes yeux sont si profonds que j y perds la mémoire.

Le discours sort comme par magie du commun ,la déclaration d’amour entraîne, saisit et séduit irrésistiblement tout lecteur grâce justement a la valeur ajoutée poétique dont je ne saurais dire avec précision a quoi elle tient : A la thématique ? A la personnalité du poète ? A un évènement ? A la qualité ou a l’agencement des mots ? Cette hésitation est incompatible avec l’acte d’enseigner officiel et l’école ne s’en encombre pas. c’est de ce phénomène qu il s’agit pourtant dans le type de définition B et je pense que la prise en charge de son enseignement, selon des méthodes non conventionnelles, est possible. Elle doit seulement être confiée a des organismes parascolaires ou même extrascolaires tels les CDI, les associations littéraires/culturelles ou les clubs de lecture. Libres de toute contrainte, ils explorent différentes méthodes de lecture et d’écriture qui révèlent le charme envo»tant a l’étude et donnent la passion a l’entraînement de la production de la poésie.

A présent, essayons de répondre a la seconde question : « Pourquoi enseigner la poésie ? »

Parmi les faiblesses de certains systèmes éducatifs actuels, en matière d’enseignement des langues, on peut citer :

– l’uniformisation des manuels qui conduit infailliblement a l’uniformisation des formations et partant a la réduction, voire a l’effacement de l’originalité.
– Le culte du modèle qu il s’agit de mémoriser pour le restituer intégralement aux différentes évaluations inhibe le sens de l’audace intellectuelle et les prédispositions a l’entreprise.

La tendance exagérée vers l’enseignement du français fonctionnel, au détriment de l’étude de la littérature et des grands auteurs, affaiblit le rapport a la langue riche et nuancée.

Le cumul de ces facteurs, sans doute sous l’effet de contraintes budgétaires, produit en masses, des générations dépendantes, sans ambition, incapables de créer et d’entreprendre.

L’enseignement de la littérature en général, de la poésie en particulier est une activité libre, créative et imaginative. Elle peut de ce fait , participer, dans l’effort d’éducation et de formation, a la préparation d’hommes et de femmes libres, imaginatifs, créatifs et entreprenants. « Le poète, lit-on,sous la plume de Silvain Arabo, est l’homme du réel absolu, l’homme de l’ éveil, l’alchimiste, nullement ce doux rêveur auquel on voudrait nous faire croire et dont on se plaît a exagérer la caricature. » (3)

(1) On retient du cours seulement que V. Hugo raconte sa tristesse, que A. Rimbaud décrit un cadavre et que J. Prévert fait un récit en alignant des passés composés.
(2) Outré, un professeur séduit par des vers de Racine criait a ses élèves apparemment impassibles : Mais qu attendez-vous pour vous mettre a genoux devant le divin Racine ?
(3) Silvain Arabo sur un site internet consacré a la poésie.

Ahmed Benhima – El Jadida le 28/04/2007

Auteur/autrice