De MAZAGAN a AL-JADIDA : une histoire universelle a revisiter !

Mazagan est le nom donné par les sources arabes et étrangères depuis au moins le XI ème siècle a une localité sur laquelle on ne sait presque absolument rien. Al-Idrissi (grand géographe universel du 12ème siècle) est le premier a avoir cité le nom exact de «Mazighan». Quand les Portugais accostent dans la baie de Mazagan en 1502, ils y trouvèrent une tour dite d’el-Brija où ils se sont réfugiés. Le nom prend une phonétique lusitanienne et se prononce désormais Mazago. De cette appellation, des chercheurs ont sinistrement voulu attribuer et le nom et la construction a l’oeuvre des Portugais, ce qui est linguistiquement et historiquement erroné. Mazighan, nom d’origine berbère est une construction locale fondée des siècles avant l’arrivée des Portugais.

L’on a aussi voulu attribuer l’arrivée des lusitaniens a Mazagan au simple coup de hasard d’une tempête qui aurait conduit la flotte de Jorge de Melo sur la baie de Mazagan. Or, les documents et les circonstances historiques (surtout le conflit entre le Portugal et la Castille) démentent catégoriquement ce postulat. Etablissant des relations commerciales avec Massa, Safi, Azemmour et Mazighan depuis la deuxième moitié du 15ème siècle, les Portugais manifestent leurs intérêts expansionnistes et prennent Mazagan intentionnellement en 1502.

Ayant exprès investi la baie de Mazagan dans le cadre d’un projet d’une route vers les Indes par l’Atlantique, les Portugais y passèrent quelques années, dans une installation rudimentaire avant de construire en dur et pour l’éternité une citadelle (Citadela) en 1514, un monument carré porté sur 25 colonnes et piliers entouré de trois salles- galeries. La tour locale d’el-Brija constitua l’angle Sud de ce bâtiment carré a quatre tours et où la garnison vivait sur la terrasse avec son Eglise de la Miséricorde. c’est cette première Citadelle que l’on appelle la Citerne portugaise, le joyau indélébile du Maroc.

Les architectes de cette citadelle (cidadela) furent les frères Francisco et Diogo de Arruda, illustres par des travaux qu ils ont menés aussi bien au Portugal que pour la fortification des médinas occupées au Maroc, telles Sebta et Azemmour. La célébrité des ingénieurs de Mazagan fut une nouvelle fois mise en évidence avec l’élargissement de la citadelle en forteresse en 1541 après la perte, la même année d’Agadir, Safi et Azemmour. En effet, le plan de cette forteresse fut tracé par le célébrissime italien travaillant au compte du Portugal, Benedetto de Ravenna considéré comme le créateur du style donné a Mazagan et qu il a déja appliqué a d’autres places fortes dans d’autres pays. Une autre célébrité a marqué ce nouveau Mazagan. Le gouverneur de la forteresse de 1541 a 1548 ne fut autre que Louis de Loureiro, l’un des très connus gouverneurs portugais des places lusitaniennes élevées de Ceuta (Sebta) au Brésil et de Mogador a Timor.

En 1541 donc la citadelle est agrandie pour devenir une forteresse, une première du genre au Maroc et dont on n’aura plus du similaire. Suivant un plan magnifique de Benedetto di Ravenna, qui nous rappelle les esquisses de Leonardo da Vinci, la forteresse prend la forme séduisante d’une étoile a quatre branches, une forme en trèfle. Les murailles ne sont plus rectilignes, mais savamment infléchies en leur milieu vers l’intérieur et dont les extrémités (intersections) sont terminées par des bastions chic et massifs dits de Saint-Esprit, de l’Ange, de Saint-Sébastien et de Saint-Antoine. Le Bastion du Gouverneur, le cinquième et de moindre dimension, ne garde que des vestiges sur la Porte Principale d’entrée, touché comme le rempart Sud-West par les explosifs laissés par les Portugais en évacuant Mazagan le 11 Mars 1769 sur un pacte passé avec Sidi Mohamed Ben Abdallah et qu ils ont trahi.

Le chemin de ronde qui constitue le circuit pittoresque sur la muraille fait de 07 a 10 m de large pour laisser circuler les chariots porteurs de canons massifs de cette Europe renaissante. Le parapet de la muraille qui est de 02m de large est percé de canonnières aux bords en pierre qui suscitent l’admiration. De ce chemin de ronde l’on a aujourd hui une vue prenante sur toute la ville d’Al-Jadida, sur l’Océan et sur le Golf Royal de Haouzia et la magnifique Station balnéaire Mazagan Resort beach.

L’accès aux remparts se faisait par trois rampes du côté du bastion Saint-Esprit, du bastion Saint-Antoine et de la Porte de la Mer. La forteresse elle même possédait trois portes : La porte de la Mer (Porta do Mar) en décrochement dans le rempart Nord-Est formant un petit port, la porte des Bœufs (Porta das Boas) au rempart Nord-Ouest (Bab Deouez) et la porte principale en double arc au milieu du rempart Sud-West qui était lié a la terre par un pont-levis, puisque toute la place était entourée d’un fossé d’environ 20m de large et 3m de profondeur que l’eau de mer alimentait par un système en sorte de vanne. Le fossé fut comblé du temps du protectorat français et une nouvelle porte fut en même temps percée près de la porte principale sur la grand-avenue de la forteresse appelée rua da Carreira (rue Hachmi Bahbah).

Avec son élargissement en forteresse, Mazagan connut une explosion urbanistique. Des maisons, des bâtiments civiles et militaires virent le jour en un temps record, entre 1541 et 1548 essentiellement. c’est de cette époque que date la transformation de la Citadelle en Citerne, chose a laquelle je n’y crois pas sincèrement. Cependant, le plus frappant et le plus remarquable de cette opération monumentale fut l’oeuvre religieuse. Vers la fin du 16ème siècle, l’étroite place forte renfermait au moins quatre églises dont les plus importantes sont celles de l’Assomption, église paroissiale, et l’Eglise de la Lumière. Dans ces circonstances historiques, les Portugais élevaient des lieux de culte a l’intérieur de leurs enclaves et n’agissaient dans aucune opération sans avoir consulté les prêtres. Les Marocains, dans l’arrière pays et a travers le territoire national multipliaient la consécration des marabouts (tels Al Moujahid Al-Ayyachi ou la tumultueuse Aïcha Qandicha) dans l’espoir de gagner leur guerre sainte (Jihad). Mazagan, comme les autres places portugaises du Maroc, nous rappelle cette époque du fort besoin religieux.

Après 267 ans, mêlés de guerres et de paix, de méfiance et de contacts artistiques et civilisationnels, l’épopée lusitanienne de Mazagan s’achève sur un terrain d’entente entre deux grands peuples que l’Andalousie avait bien unis avant, depuis 711 J-C. Le Sultan Sidi Mohamed Ben Abdallah (1755-1790), ayant campé dans Ribat Lemjahdine et Ribat Fahs Oulad Douib non loin de Mazagan, assiégeait la forteresse et l’asphyxiait depuis le début de 1769 quand la décision vint de Lisbonne de quitter la place dont la défense appartenait désormais au monde de l’impossible. Le Sultan, qui fut le premier dans le monde a avoir reconnu l’indépendance des Etats Unis, accorda une paix totale aux Portugais a une seule condition : Tous les gens doivent sortir par la Porte de la Mer vêtus de leurs vêtements, sans prendre absolument rien de leurs biens ni d’équipements sur les bateaux.

L’amour de la terre que les compatriotes de Vasco da Gama avaient tant adorée raviva dans leur esprit une astuce permettant de venger cette portion de terre devenue pour eux ancestrale. Ils placent des mines et des explosifs a l’entrée de la porte principale et aux pieds du rempart de façade qui s’explosent une fois les Marocains forcent la porte se précipitant de reconquérir leur honneur et font ainsi beaucoup de morts d’après les récits de l’époque. Ces explosions sont également a l’origine de l’effondrement du bastion du Gouverneur et d’une bonne partie du rempart principal qui fut reconstruit et, de ce fait, il n’est pas parfaitement identique aux trois autres remparts de la cité. Mais l’amour étant plus fort que la vengeance, la nostalgie de ces Mazaganais portugais les amena a aller fonder au Brésil, au Macapa sur l’Amazone, Vila Nova de Mazago (la ville nouvelle de Mazagan) sur ordre du Roi et l’instigation du célébrissime Marquis de Pombal, son Premier Ministre et le reconstructeur de Lisbonne suite au tremblement de 1755.

Les Marocains reprennent alors la place mais ne la peuplent pas officiellement. Restée quasiment désertée pendant presque 50 ans, la cité, en partie détériorée, prend le nom de al-Mahdouma (la Ruinée), mais ce nom n’est jamais devenu un nom de la ville, contrairement a ce que postulent certains chercheurs. Au cours des années vingt du 19ème siècle, le Sultan Moulay Abderrahmane ibn Hicham (1822-1859) ordonne a son Pacha de la région de reconstruire les bâtiments délabrés, d’élever une mosquée et de repeupler la cité portugaise. On interdit de prononcer le nom de Mazagan que l’on nomme désormais Al-Jadida, la Neuve ou la Nouvelle.

AL-Jadida est alors dotée d’une mosquée, qui ne manque pas de monumentalité, signe de purification d’une cité habitée jadis par des gens de foi différente. Cependant, cette purification, ou sacralisation de l’espace, n’empêcha pas les Marocains de conserver les témoins de l’époque précédente, y compris les lieux de culte. l’église portugaise, quoique non plus affectée au culte, se dresse intacte face a la mosquée, la synagogue et même des synagogues prêchaient le abat et le culte ibraïque dans d’autres coins de la cité. Cette cohabitation spirituelle et religieuse a distance fut même renforcée par la construction d’une Eglise-couvent espagnole (de Saint Antonio de Padova) vers fin 19ème et par une autre cohabitation non moins importante. En effet, a l’intérieur des remparts vivaient les musulmans et les juifs, tous des marocains, du début 19ème jusqu aux années quarante du 20ème siècle. Ceci explique que l’appellation «Mellah» est une autre erreur historique grave puisque la Cité Portugaise n’a jamais été exclusivement réservée aux Juifs Marocains.

La coexistence et la cohabitation des religions et des races s’illustrent encore une fois a partir de la deuxième moitié du 19ème siècle quand de nouveaux européens, commerçants, missionnaires, consuls ou des citoyens en quête du soleil et du calme, élisent domicile a l’intérieur des remparts plus que dans les nouveaux quartiers extra-muros. Leurs oeuvres sont la pour en témoigner dans une ville surnommée par le Maréchal Lyautey Le Deauville marocain. Ce grand Général, tant méprisé par certains, a doté le Maroc des plus importants monuments art-déco et les meilleurs monuments coloniaux d’Al-Jadida sont l’œuvre de Lyautey, tels le Théâtre, la Poste, Bank Al-Maghrib, la Chambre de Commerce, la Trésorerie et autres immeubles et villas que l’on ne cesse de massacrer ces dernières années devant un silence totale de la société jdidi et de l’Ambassade de France.

Bref, dans la Cité portugaise comme dans la ville nouvelle, les bâtiments d’Al-Jadida, avec leurs structures architecturales, leurs éléments architectoniques et leurs décors ainsi que des us et coutumes nous retracent tous les péripéties de l’histoire de cette ville marocaine chargée de mémoire collective pour les Marocains, les Portugais et autres peuples et qui est drapée de trois couleurs, islamique, juive et chrétienne.

Aboulkacem CHEBRI
Eljadida.com

Auteur/autrice