Herpétologistes en culottes courtes

En 1955, arrivant de Khouribga, Yves Abert atterrit dans ma classe du Cours Supérieur de Monsieur Arthaud, maître et également directeur de l’école des garçons de Mazagan. Nous sommes devenus rapidement amis, car nous partagions une commune curiosité pour la nature en général et pour les reptiles en particulier.

Toujours dehors, nous pédalions en toute liberté sur nos vélos a la recherche permanente de lieux isolés, de préférence rocailleux ou buissonneux, situés a la périphérie de notre ville. c’est la que se cachaient toutes sortes de petits animaux. La magnifique «Petite Forêt», classée réserve de chasse, située coté gauche de la route d’Azemmour, a moins de 10 km du centre-ville, était considérée comme un terrain intéressant pour les herpétologistes en culottes courtes que nous étions. Dès que nous arrivions a la lisière formée par d’immenses eucalyptus, près d’un petit tunnel accédant a un puits, nous abandonnions la route goudronnée pour emprunter une piste sablonneuse traversant toute la forêt. Nous aimions surprendre une compagnie de perdreaux affolés courant pour se mettre a l’abri dans les frondaisons de mimosas descendant jusqu au sol. Nous y dissimulions nos«bécanes» et la traque commençait en direction des dunes. Nous avancions silencieusement entre les arbustes, tous nos sens en éveil. Sur un tapis de feuilles mortes, le départ bruyant d’une grosse couleuvre grise Culebra bastarda déclenchait immédiatement une course-poursuite. Proche de son terrier, nous devions la capturer le plus rapidement possible. Le mieux placé des deux la saisissait au plus près de la tête pour parer a une morsure défensive heureusement sans danger. Mise dans un sac, elle se calmait aussitôt. Sous les pierres nous trouvions, outre des scorpions noirs ou couleur jaune miel, des petites couleuvres grises a collier noir, lovées sur elles-mêmes en quasi hibernation, attendant la fraîcheur nocturne pour chasser. Il existait une troisième espèce plus rare, la couleuvre d’Esculape Elaphe longissima, portant une robe sublime, harmonieusement striée de belles couleurs jaune, vert et noir. Elle appréciait surtout l’abri des anfractuosités d’un mur en ruines. Nous savions aussi, de nos yeux écarquillés, repérer les caméléons en embuscade dans le feuillage des jeunes mimosas. Leur parfaite immobilité, ajoutée a leur singulier mimétisme, leur permettait de survivre en attrapant de loin les insectes par la projection de leur longue langue gluante et surtout, de ne pas se faire repérer des rapaces comme les buses ou les crécelles.

Nous nous régalions a manipuler ces reptiles, lents, propres et totalement dénués d’agressivité. Nous nous amusions du mouvement circulaire et indépendant de leurs yeux, leur offrant une vision exceptionnelle a 360° et aussi du changement rapide de leur couleur selon leur humeur ou le milieu. Parfois nous avions la baraka en découvrant une adorable petite tortue de terre que nous gavions de salade pour adoucir sa captivité. Les lézards étaient particulièrement nombreux, certains difficiles a capturer par leur extrême rapidité a trouver refuge dans les futaies de figuiers de barbarie. De retour chez Yves, rue Rizzo Guido, nous libérions toute notre ménagerie dans une volière fabriquée avec talent par son père, professeur d’ébénisterie dans l’enseignement technique.

Au collège, notre réputation auprès de Monsieur Minas, professeur de sciences naturelles, grandissait du fait de la régularité de nos approvisionnements en bestioles, flore terrestre et marine, ossements divers, fossiles et minéraux.

Devenu officier de Marine marchande, Yves navigua sur les côtes d’Afrique Occidentale Française. Au retour de ses escales, il ramena a Mazagan devenue El Jadida,de beaux spécimens de reptiles comme un python rose ou royal, un mamba vert, une vipère du Gabon et un cobra plus connu sous le nom de serpent a lunettes. Son bébé crocodile, capturé dans un marais proche de Dakar (Sénégal), connut une fin tragique en s’électrocutant dans son bassin a la suite d’un vol dans le quartier. Devenu adulte, Yambo le singe cercopithèque facétieux de la famille, prenait régulièrement son pied a déplumer l’unique dindon ou s’amusait a faire tourner sur le dos comme des toupies les infortunées petites tortues. Ce mini zoo suscita, jusqu au départ définitif de la famille Abert, la curiosité des habitants du quartier.

Texte: Yves Abert a Mazagan de55 a 62 et Pierrot LARUE a Mazagan de 49 a 58
Photo : Yves Abert avec un python royal de 3 mètres qu il a domestiqué. Le directeur du cirque Amar souhaitait l’acheter pour sa ménagerie. (Collection Yves Abert)

Pierre Larue
Eljadida.com

Auteur/autrice