JDED, vous connaissez ? Son école fêtait ses 50 ans (Récit d’une journée singulière)

La journée s’annonçait chaude, ce jeudi-la. A El Jadida, un chergui soufflait déja, qui vous contraignait a chercher un abri ombragéet je me suis dit : Alors la-bas, en plein bled, qu est-ce que ce sera. ? Passé Sidi Smaïl, il fallait tourner a gauche, et emprunter un chemin vicinal qui devait me mener a Djemaâ Beni Hellal ! c’est la qu il était prévu que quelqu un m attende pour me mener par un autre chemin encore plus vicinal a Jded ! Curieusement, je n’avais jamais emprunté cette route-la, et je ne comprends pas pourquoi ? J ai fait pourtant toutes les routes des Doukkalaet j en connais, des circuits uniques, qui méritent d’être développés ! Du plateau des Gantours aux rives du Lac de Massira, en passant par les cols de Maâchou, ou les virages d’Im Fout.Des coins merveilleux, sortis des périples habituels déja surannés. Mais ce jeudi, je devais me rendre a Jded où l’on m avait invité a assister a la fête d’une école. Je ne connaissais ni les lieux, ni les personnes qui m avaient invité. Mais c’était dans un douar perdu, c’était une jeune association, c’était dans une école. Trois raisons qui m ont poussé a accepter d’emblée l’invitation. Comme j ai été invité, sans connaître personne, a aller a Tibari, a Mogrhess, et dans d’autres douars, pour de vrais moments de bonheur partagéA parler et a écouter ces paysans au regard droit, a la voix chaleureuse, a voir ces enfants toujours joyeux qui vous accompagnent « Mssieu ! Mssieu !Mssieu ! A observer le Maroc profond qui bouge !

On en oublie vite les tohu-bohus citadins, en ce début d’été, et les sottes querelles inutiles de quelques-uns ! Ici, j entre de plain-pied dans l’intimité des Doukkala. Sans manière . Les foyers m ouvrent leurs portes et les habitants leur cœur. Le bonheur a l’état pur. On s’assoit, on cause, on rit, on mange un couscous pétri a la main, une tagine de poulet dont les cuisses sont vraiment beldiou plus simplement on tartine du beurre sorti de la jatte sur du pain sorti du four, avec un verre de thé br»lant d’absinthe. Alors je me suis dit, a Jded, ça va être la même chose ! Allons-y ! En plus, ils me font l’honneur de m inviter !

Et donc me voila sur cette route inconnue. Les blés venaient d’être coupés, on en voyait des meules près des fermes ; et partout, au loin, tout près, des troupeaux de vaches et des troupeaux de moutons glanaient les derniers chaumes, beaucoup de troupeaux ! Ici, des parcelles de courges et de pastèques, ou des champs de maïs ou de pommes de terre. Et la, de la vigne ! Ah ! Mais oui, c’est ici le fief de la vigne, c’est de la que partaient les tombereaux de raisins pour les caves de Boulaouane ! On y est d’ailleurs pas très loin, a vol d’oiseau, pas très loin aussi d’Ouled frej.

Ma voiture s’est glissée « dans un chemin montant, sablonneux, malaisé », (pour parler comme Jean de La Fontaine dans ses fables !). Des ornières redoutables, des haies de cactus menaçants ; il fallait de temps a autre slalomer pour éviter l’enlisement !…sur des kilomètres. Mais finalement on est arrivé au douar Ouled Malek, où devait se dérouler la cérémonie. c’était d’ailleurs facile a trouver : Il y avait un drapeau sur une haute bâtisse, l’école. Des tentes caïdales avaient été dressées, un mulet tirait un dernier tonneau d’eau pour arroser la cour et éviter la poussière ; les paysans étaient déja la, depuis longtemps sans doute, accroupis a l’ombre des eucalyptus, ils devisaient, racontaient sans doute leur dernière récolte, ou leurs nouveaux soucis, dans ces temps de plus en plus dur pour la campagne ! Des jeunes gens, le cou orné d’un foulard orange a liseré jaune, a l’allure de scout, vaquaient a des occupations bien précises : c’étaient des membres de l’association Ajdeco : Association Jded pour le Développement et la Coopération. Une toute nouvelle association, que le tout jeune président, Abderrazak Belhaimer, fils de ce douar, a créée pour aider son village et sa région. Abderrazak est Ingénieur d’Etat en Informatique, et quand il lui reste du temps, après son travail, il le consacre a son village, car il sait qu il ne faut pas tout attendre des autres, que ce sont les populations elles-mêmes qui doivent s’organiser pour mieux s’aider, et il a plein de projets en tête pour rendre ces douars un peu moins isolés et leurs populations un peu plus prospères ! Bien qu ici, la prospérité, on ne sache pas trop ce que cela veut dire !

Ce jour-la, l’école fêtait son cinquantenaire ! Oui, depuis 50 ans, depuis 1958, il y a une petite école dans ce petit village ! Une petite école dont quelques uns des premiers élèves sont devenus ingénieurs, professeurs, fonctionnaires, certains a la retraite, maintenantEt beaucoup d’entre eux étaient venus pour se rassembler autour de cet anniversaire, se retrouverLe vieux Mohamed Fassihi, qui avait enseigné dans cette école de 1964 a 1976, était venu spécialement de Oued Zem, où il habite maintenant et ses anciens élèves comme la population du douar avaient tenu a l’honorer.

Et puis, sous une tente, d’un côté le Maroc d’aujourd hui, avec ses paysans, ceux qui font fructifier, tant bien que mal, les terres voisines – certains n’ont jamais pu fréquenter les bancs de l’école – et sous une autre tente : l’autre Maroc, celui de demain : Tous les élèves étaient la, garçons et filles. c’était, pour eux, un jour pas comme les autres : Vous pensez, autant de monde dans leur école : les notables, quelques élus locaux autour du député Mohamed Abdellhak, des militants associatifs comme Mustapha Dalal, Said Abdelaadim, Houcien Azmi, et tant d’autres, des enseignants, des journalistes mais également Mohamed Aatir, un comédien très connu, que l’on entend aussi sur la radio Casa FM et qui joua ici le rôle de maître de cérémonie. Ses blagues fusaient comme des éclats et faisaient rire toute l’assistance, et je riais de bon cœur et tous riaient de bon cœur.

Des discours, pas mondains, des applaudissements sincères ; les anciens montèrent a la tribune chercher les cadeaux que l’association avaient prévus pour eux, -bel hommage et touchante attention ! – Puis, on rassembla les élèves les plus méritantsavec toujours le mot pour rire de Mohamed Aatir. On leur remit des récompenses. Pour ma part, j avais apporté quelques ballons – Qui sait si jamais demain un Ronaldhino (N°10) se levait des rangs de Jded ! Et des maillots, pour ceux qui n’avaient pas bien travaillé a l’école ! Pour les encourager a faire mieux l’année prochaine. Roger Vincent, le Directeur de la Société Pizzorno, qui rend propres nos plages et nos villes, m avait chargé de leur donner des cerfs volants de toutes les couleurs. Pour un concours du plus beau lâcher de cerfs volants de la région. Mais le plus spectaculaire : ce furent quatre ordinateurs, tout complets, tout neufs, offerts a l’école par l’association Ajdeco. Depuis Jeudi, Jded est entré ainsi dans le monde de l’informatique Qui e»t pensé cela, l’année dernière ou même il y a 50 ans lorsque l’école a été créée, avec une seule classe. Aujourd hui, c’est une véritable pépinière de 380 élèves, de la 1ère année a la 6ème.

A mon retour a El Jadida, je suis allé me baigner au milieu des rochers, avant que le soleil ne saute sur l’horizon. Et j ai revu, entre les vagues, ces sourires d’enfants, ces joies de parents, le visage rieur de ce beau vieillard au turban jaune que Mohamed Aatir avait taquiné, et la volonté tenace d’Abderrazak Belhaimer, d’aider sa région. J entendais encore la voie sublime de cet adolescent qui, a l’ouverture de la cérémonie, avait psalmodié quelques versets du coran Et j ai vite conclu que j avais vraiment de la chance d’habiter le Maroc !

Michel Amengual
Eljadida.com

Auteur/autrice