Jour de cirque a Mazagan

Au milieu des années 50, d’immenses panneaux sur les murs des voies les plus passantes de notre ville, annonçaient la venue imminente du cirque Bouglione. Pour appâter le chaland, de grandes affiches aux couleurs pétantes, montraient, entre autres, un éléphant de mer trônant sur une banquise de l’Arctique que nous pourrions bientôt admirer dans la ménagerie. Le programme alléchant de ces réclames avaient un impact énorme sur nos esprits d’enfants naïfs.

Un matin, une caravane de camions traversait notre ville, terminus l’enceinte portuaire où s’érigeait bien vite un immense chapiteau. En attendant d’assister au spectacle, nous pouvions prendre un ticket donnant droit a la visite de la ménagerie. Des lionnes impressionnantes derrière les barreaux de leur cage nous gratifiaient d’un rugissement lorsque leur soigneur musclé leur donnait avec sa fourche un impressionnant quartier de viande fraîche. Je me précipitais a l’intérieur d’une grande roulotte pour contempler ce qui pour moi représentait l’attraction majeure annoncée: l’éléphant de mer. Je me penchai au bord d’un minuscule bassin où évoluait, a l’étroit dans une eau boueuse bien peu engageante, un petit phoque moine de Méditerranée. En fait, rien a voir avec la représentation vue sur les affiches d’un imposant animal en pleine santé, bravant les glaces polaires. Je venais de comprendre que la publicité prenait beaucoup de liberté avec la réalité plus prosaïque.

Pour le fabuleux spectacle attendu impatiemment, figuraient au programme: clowns, jongleurs, dompteurs, trapézistes et le clou: l’homme canon! A la fin de la représentation qui nous avait subjugués, nous restions longtemps imprégnés de la magie de la prestation des artistes.
Cette fascination pour le cirque avait commencé très tôt, au contact de Pierrot Bourret. Celui-ci avait été chargé par Mlle Hujol, notre institutrice de CP, de jouer le rôle de guide auprès de moi, du fait de mon arrivée en cours d’année dans cette classe surchargée. Rapidement nous étions devenus inséparables. Il avait auparavant vécu a Brazzaville, chef lieu de l’Afrique-équatoriale française (l AEF). Cet endroit, me paraissait être, a l’époque, le comble de l’exotisme. Dans sa maison du plateau évoluait Jaco, son perroquet gris du Gabon, avec une queue rouge, particulièrement bavard, témoin vivant de son passage en Afrique Noire. Quel bonheur de nous retrouver pour discuter sans fin de notre audacieux projet : crer un cirque lorsque nous serions «grands». Nous nous imaginions dans la peau d’un traqueur de fauves, pour fournir abondamment la ménagerie. Tous ces fantasmes étaient confortés par les films projetés au cinéma Dufour: Mogambo, Le jour où les vautours ne voleront plus, Sous le plus grand chapiteau du monde, ou par des conférences du style Capturez-les vivants. Nous feuilletions quotidiennement le célèbre catalogue d’armes et cycles de Saint Etienne qui présentait toutes sortes d’armes, de la carabine a air comprimé type Diana au fusil pour chasser l’éléphant! Nous rêvions d’aventures africaines, au milieu d’une nature sauvage et grandiose, a l’instar des vedettes hollywoodiennes marchant en tête d’une colonne de porteurs comme sur les BD de Tintin au Congo.

Quelques années plus tard, notre classe de CM1 hébergea un jeune garçon de la famille des forains, pendant les quelques jours de la présence du cirque Amar sur la place du marché. A son contact, beaucoup de nos illusions, déja mises a mal par la maturité, disparurent complètement. A l’évidence, les multiples contraintes de la vie de ces nomades ne nous séduisaient plus du tout.

Les attentes concernant notre vie future avaient complètement changé. Certes, nous avions perdu une certaine forme de naïveté propre a notre petite enfance, mais heureusement, il restait toujours une petite flamme jamais éteinte: celle de la recherche d’un parfum d’aventure.

Pierrot Larue a Mazagan de 49 a 58

Larue Pierre
Eljadida.com

Auteur/autrice