La Cité des Moudjahidines, Une évocation d’une page glorieuse mais oubliée de l’Histoire des Doukkala

Le long lacet de l’autoroute glisse dans la plaine des Doukkala. Toute la richesse de la région est la, offerte a la vue des automobilistes qui empruntent cette majestueuse voie reliant Casablanca a El Jadida. Toute sa richesse et toute son histoire. Une terre a blé, riche, dorée en cette période de moisson. c’est cette même terre qui, depuis la plus haute antiquité, a fourni en céréales, les peuples qui l’accostaient : les Romains, les Phéniciens, les Portugais, les Hollandais, les Anglais, les Francais . l’on venait aussi se ravitailler en œufs, et l’on voit, aujourd hui encore, ces fermes avicoles qui égrènent notre route, avec leurs silos a grains debout comme de gros ciergesBref, l’Europe avait déja, depuis longtemps, jeté des passerelles entre son histoire et celle de cette côte atlantique du Maroc.

Vers Tnine Chtouka, les serres se dessinent, cachant sous leurs voiles, bananiers, papayers, vigne de table,et des agrumes qui ont fait de tous temps le succès de l’arrière pays d’Azemmour. Et puis, après un virage, l’Oum er Rbia apparaît, dans toute sa noblesse. Les ponts l’enjambent avec délicatesse, nous laissant l’avantage de contempler, juste quelques instants, ses rives et son cours qu on aimerait bien suivre en barque, comme ces rares pêcheurs que l’on aperçoit au bas.

Mais l’on arrive bientôt a El Jadida. El Jadida-la-Nouvelle. El Jadida-la-Belle.

On devine au loin la ligne bleue océane, que pointe, comme un doigt levé vers le ciel, le phare de M Sbah. La dernière barrière de péage franchie. Et ça y est .Dans quelques minutes, la ville vous tendra ses bras : Ses rivages d’azur, ses palmiers symphoniques, ses jardins somptueuxEl Jadida est d’ailleurs la seule ville a avoir des jardins publics en bordure de mer !… Etait-ce la raison pour laquelle le Maréchal Lyautey voulait en faire le Deauville du Maroc ? Et puis, il y a aussi la Cité portugaise. Un patrimoine mondial enserré entre quatre bastions gardant jalousement une superbe citerne qui fait rêver les cinéastes La Cité portugaise ! Près de trois siècles de présence d’une couronne lusitanienne sur cette terre marocaine. Trois siècles de luttes, de combats, avec, malgré tout, quelques brefs instants de paix. Les Portugais qui l’occupaient étaient cernés de tous côtés par des combattants qui avaient décidé co»te que co»te de récupérer cette terre d’Islam et adopté une stratégie militaire qui prouva son efficacité puisque devant leur pression, les Portugais durent s’enfuir sans armes ni bagages. Les Marocains avaient mis en place trois centres majeurs de résistance : a Tit (My Abdallah), au centre (Fahç Douïb) et a l’Est, entre Azemmour et Mazagan, la Cité des Moudjahidines, Fahç ez- Zemmouriyin. Et c’est cette cité que l’on découvre a main droite, passé le dernier péage de l’autoroute. Ou ce qu il en reste, englouti sous les genêts qui en ont dévoré les contours. Mais on la devine.

On en soupçonne l’élégance et l’importance dans ces murs qui surgissent d’une terre caillouteuse, entre arbustes épineux et troupeaux de moutons.

Et, a voir les enfants bergers sauter de pierre en pierre sur ce qui fut des remparts, on sait que notre visite des lieux ne sera pas inutile. Sans l’ouverture de l’autoroute, qui se serait souvenu de son existence ? Pourtant, quelques pages glorieuses de l’histoire du Maroc gisent ici, qui demandent a être relues ou déchiffrées a nouveau. Car, en vérité, on sait peu de chose de cette cité ; mais, a déambuler entre les pans de murs et les genêts en fleurs, on a l’impression d’entendre encore, venus de quelques siècles arrière, le grondement des canons et le fracas des boulets que les Portugais lançaient depuis les remparts sur les assaillants, les cris de gloire des Moudjahidines en partance pour leur devoir et les râles des blessés qui revenaient de durs combats, le hennissement des chevaux au retour de leurs raids, le cliquetis des armes que l’on réparait avant ou après la bataille, et le chant des soldats qui fêtaient leur victoire. On peut entendre aussi, le soir venu, les murmures des combattants autour des feux de camp racontant leurs faits d’armes ou égrenant les souvenirs de leurs familles restées au douar Et imaginer encore la frayeur des Portugais, piégés dans leur forteresse, qui, depuis les remparts ou la tour de guet, voyaient au loin des milliers de feu allumés qui cernaient la citadelle.

c’est de ce campement que partaient les colonnes de soldats, berbères et maures rassemblés, qui usaient de toutes les ruses pour s’approcher de la citadelle et harceler les Portugais qui osaient s’aventurer hors de leurs remparts a la recherche de bois ou de légumes qu ils cultivaient dans les potagers voisins. Ou qui s’éloignaient un peu plus, vers Azemmour ou vers Tit, pour chasser des taureaux sauvages, des lièvres, des sangliers ou des perdrix. Et quelques fois des lions. Etait-ce dans cette Cité des Moudjahidines que s’était installé, en 1768, l’Etat-Major du Sultan Mohamed qui avait appelé ses troupes a converger vers Mazago, sa « pierre de scandale » et réaliser ainsi son ambition d’unir l’Empire chérifien ? Des milliers de soldats et sapeurs qui pendant des semaines, creusèrent des tranchées, harcelèrent nuit et jour leurs ennemis jurés puis venaient s’abriter dans leur camp, juste derrière la colline au sommet de laquelle juchent aujourd hui la tour carrée du phare surmontée d’une lanterne et de panneaux solaires, et, a ses pieds, le marabout de Sidi M Sbah. Des ruines de ce camp, on peut encore voir, impressionnantes, les murailles de la casbah, le centre névralgique où devaient résider le Sultan et /ou ses principaux chefs militaires. Et tout a côté, la mosquée, dont on peut contempler encore la porte d’entrée, en ogive. A l’intérieur, quatre piliers, presque intacts, séparent le çahn (la cour) et portent encore les traces de fumée et de cire des bougies. Non loin de la, presque absorbé par des buissons, un puits, assez profond. Avec émotion, on découvre sur les pierres qui forment la margelle, les entailles façonnées par les cordes qui remontaient les outres d’eau A vingt pas de la, une autre ouverture, en pente légère qui semble relier l’autre puits a moins qu elle ne conduise a un souterrain. Un magasin ? Un chemin secret ?… Il y avait aussi, a l’angle S.O de la ville, d’autres puits, larges, comme des bassins. Mais qui ont disparu avec la création de l’autoroute. c’est vraisemblablement dans cette partie-la qu étaient situées les portes de la ville dont les rues, ou ce que l’on en devine, paraissent avoir été rectilignes et étroites.

Restent aussi quelques traces d’habitations : Elles semblent petites ; dans l’une d’elles, il y a des étagères, creusées dans le mur La vie, quoi !

Mais, les Portugais ayant plié bagages, le 11 mars 1769, et les Moudjahidines s’en étant retournés chez eux, quel a été ensuite le sort de cette cité ?

Pourquoi en reste-t-il aujourd hui si peu de traces ? On a même l’impression qu elle a été rasée, tant le temps (mais est-ce seulement le temps ?) a défiguré ses murailles et ses entrailles. Que ne trouve-t-on pas des tombes de soldats morts au combat ? En a-t-on cherché, d’ailleurs, autour de ce qui fut a cette époque une zone militaire très sensible ? Mais aussi, sait-on quand cette cité a été construite et dans quelle circonstance elle a été abandonnée ? Ce que l’on découvre aujourd hui sur le site nous conduit plus a des hypothèses qu a des certitudes. Et toutes informations supplémentaires ou interprétations diverses de la part de nos lecteurs seront les bienvenues. Car les rares indications que nous avons pu recueillir datent des années 1900, lorsque l’éminent Professeur Michaux-Bellaire enquêtait sur les « Villes et Tribus du Maroc ». Un livre pratiquement introuvable aujourd hui dans sa version originale, mais que les éditions « Frontispice », de Casablanca, viennent de rééditer, pour le plus grand bonheur des historiens.

Michel Amengual
L’opinion

Auteur/autrice