La femme qui me deconcerta, peinture et discours au Maroc (partie 1)

La femme qui me déconcerta : Introduction

Le point de départ de cette réflexion est une anecdote qui date du temps où j étais encore étudiant a la faculté des lettres et que je rapporterai ici en guise d’introduction.
Un jour, je visitais une exposition de peinture abstraite dans la galerie de BAB ROUAH de Rabat quand une femme en « haïk » et en voile m interpella et me demanda :
– « Dis-moi mon fils, qu est ce que vous regardez sur ces planches ? »
– Je lui répondis : « Ces choses, madame, concernent les gens instruits »
Sur quoi, elle me dit :
– « Alors, explique-moi mon fils, toi qui es instruit, ce que tu comprends »

Déja, la présence de cette femme dans ce lieu me paraissait anormale. Quant a sa demande insistante, elle me déconcerta. J étais extrêmement embarrassé et je lui avouai : « Je vous jure, madame, que je n’en sais pas plus que vous ».

Cette histoire fut probablement le début de mon intérêt pour cet art devant lequel je restais souvent admiratif, parfois perplexe. J entamais donc la recherche du secret des « planches », persuadé que chaque fois que je visite une exposition, la voix de la femme qui me déconcerta revient de loin pour me m interroger sur ce que je vois et ce que je sens et/ou comprends.

Un éclairage de type pédagogique

Mon exposé tentera donc d’ apporter, a l’art pictural marocain en général, abstrait en particulier, un éclairage de type pédagogique qui consiste a rapprocher une information, un savoir donné a des apprenants (réels ou virtuels) en rassemblant ce qui est disséminé et en simplifiant ce qui est compliqué. Ma conviction, d’une part, est que la peinture ( ainsi que les autres modes d’expression artistique) est tout aussi affaire de celui qui la crée que de celui qui la perçoit. d’autre part, la qualité de sa création et l’intelligence de sa réception sont suspendues a la culture générale qui façonne la subjectivité de l’individu et a la culture artistique savante qui explicite les soubassements théoriques qui président a son élaboration, a son appréciation et a son jugement.

Qu est-ce qu une œuvre d’art ? – Essai de définition

Dans ma démarche pédagogique, le premier souci est de distinguer, en peinture, l’art
du faux art, l’esthétique de l’inesthétique. d’où la question incontournable : Qu est-ce qu une
œuvre d’art ?

Les définitions que présentent les théoriciens de l’art et de l’esthétique sont ou trop vastes ou trop étroites, voire hors de portée pour le commun. Je suggère une définition que j ai déduite de plusieurs autres et qui me satisfait :

« l’art est une activité humaine qui vise, dans le désengagement et la liberté,
la création consciente d’œuvres, dont le but est de susciter des sentiments et des interrogations. » J ajouterai : « des œuvres qui font, de nos jours, objet de spéculation et de médiatisation.

Cette définition appelle un certain nombre de remarques :

– Elle dénie le caractère artistique a toute trace non humaine qui chercherait a se justifier par l’innovation ou l’imagination.
– Elle présuppose, a chaque création, un projet, une volonté, une planification et une exécution selon une procédure et un rituel arrêtés par l’artiste et écarte toute invention arbitraire ou pseudo spontanée.
– Elle considère que l’œuvre d’art est, a chaque fois, unique et originale. Une peinture qu on reproduit n’appartient plus a l’art Elle bascule, de ce fait, dans un domaine moins noble, en tout cas différent.
– La peinture, a l’instar des autres formes d’expression artistiques, n’a pas la vocation de changer ou de révolutionner le monde ni même de lui fournir des objets d’utilité usuelle. (*) Le peintre adresse son œuvre, fruit de sa sensibilité et de son génie a d’autres sensibilités et a d’autres intelligences. Un point, c’est tout.
– Enfin une toile, est aujourd hui, un produit dont la valeur marchande, le succès et l’écoulement dépendent de facteurs extra artistiques. Ce qui ne manque pas d’influencer la nature et la taille de l’activité picturale.

(*) Par contre, l’artiste peut détourner un objet usuel quelconque et en faire un bel objet d’art. c’est le cas, par exemple, des tamis , de Zine El Abidine El Amine ( jeune peintre marocain qui travaille et vit entre Azemmour et Casablanca).

(A suivre …)

Ahmed Benhima – El Jadida (24/04/2007)

Auteur/autrice