Le Théâtre municipal menace ruine

Représentant un pan entier de la mémoire locale de la ville d’El Jadida, l’ex-salle des fêtes, le fameux Théâtre municipal, qui a vu passer des générations entières de comédiens et d’artistes, tombe dans l’oubli et la déchéance depuis déja plusieurs années. Du temple de l’art qu il était, il ne subsiste plus que le bon souvenir, mêlé a un sentiment de nostalgie de toute cette élite qui s’y était initiée au théâtre marocain et a l’art cinématographique. Des anciens de ce géant évoquent, avec dépit, l’état de déliquescence dans lequel il se retrouve.

Pourtant, il fut parmi les premiers a avoir été ouvert au Maroc par les autorités coloniales, en 1925. Initialement baptisé Salle des fêtes, il prendra par la suite l’appellation de Théâtre municipal. Il servait, a vrai dire, durant cette époque, a la formation de plusieurs hommes de théâtre marocain.

Au lendemain de l’indépendance, cet établissement gardera presque la même vocation, bien qu il ait été transformé en Théâtre municipal. Au milieu des années 70 du 20e siècle, c’est le grand homme du théâtre marocain, feu Mohamed Saïd Afifi qui y avait repris le flambeau de la formation de nouveaux talents, dont les meilleurs ont inscrit leurs noms en lettres d’or dans le registre de la scène artistique.

partir des années 90, ce temple de l’art est devenu telle une boîte de nuit de la dernière catégorie et il a continué a décliner jusqu a ce qu il soit abandonné a son triste sort. Par conséquent, ce témoin de l’histoire de l’art marocain, le Théâtre municipal d’El Jadida, dont les loges ne sont désormais plus occupées que par des chats et des rats, menace ruine.

L’usure a laissé ses traces sur la façade de cet édifice qui rappelle le bon vieux temps de la Deauville Marocaine, a la réputation bien établie. c’est grâce au geste fort louable de Ahmed Arafa, ex-gouverneur d’El Jadida, que ce Théâtre fut restauré et relooké. Et ce, a l’occasion de la Fête de la Jeunesse en 1994.

Seize ans après, Il se retrouve encore dans un état de délabrement déplorable très avancé. Sièges dans un piteux état et généralement inexistants, acoustique défaillante, projecteurs sans lampes et lentilles de sonorisation défectueuses.

La cabine de la machinerie et de la projection est frappée « d’obsolescence ». Et les toilettes, nous n’osons même pas vous raconter leur état, tellement elles sont dégo»tantes. Ainsi ce temple de l’art n’offre plus ni confort ni sécurité. Un constat désolant.

La semaine dernière, au cours d’une visite, sur le site, un ex-mazaganais, surpris par l’état de détérioration de l’établissement, n’hésita pas a le filmer tout en pleurant. Ces images, qui témoignent a la fois de la beauté et du délabrement du site où est implanté ce géant, sont un véritable cri du cœur de tous les nostalgiques qui passent par la et qui demandent qu un effort soit déployé pour la restauration des lieux.

Pour le moment, le combat semble être mené par deux journalistes jdidis et l’artiste Ahmed Jaouad Doukkali. Ils essaient de frapper a toutes les portes pour amener les responsables concernés a trouver une solution afin de préserver cet édifice, lequel renferme la mémoire historique de cette magnifique ville d’El Jadida. Il faut vraiment dire que l’état des lieux est déplorable.

Certains gérants de la ville pourraient dire que les salles de théâtre sont passées de mode et sont désertées depuis le début de l’ère du DVD et des homes cinémas, d’autres pourraient avancer sans rougir qu il vaut mieux le démolir et le raser définitivement de la carte de la ville… arguments bien entendu plus que fallacieux.
Veulent-ils vraiment que le rideau tombe définitivement sur le Théâtre municipal ?

Souhaitons que le nouveau gouverneur de la province d’El Jadida, M. Mouâd El Jamai, qui est amateur d’art et de raffinement, procède au lancement du processus de réhabilitation du Théâtre municipal d’El Jadida. Espérons aussi que ce temple de l’art portera le nom de feu Mohammed Saïd Afifi, qui a tant donné au théâtre jdidi en particulier et au théâtre marocain et arabe en général.

Joyau unique en son genre

Ce géant en son genre, qui a été conçu par l’architecte français A. Delaporte, a ouvert ses portes pour la première fois en 1925. Par contre, la pose de la première pierre a été effectuée en 1920. ses débuts, il était réservé seulement aux soirées dansantes, aux bals masqués et aux festivités familiales. Ce n’est qu en 1930 qu il a été transformé en salle de théâtre sous forme d’opéra ayant 658 places, dont 88 réservées aux 11 loges devant accueillir les grandes personnalités.

La première représentation théâtrale fut celle du « Malade imaginaire » de Molière qui a eu lieu le 15 juillet 1930. Elle a été montée par l’Association artistique de Mazagan, dont le président fut aussi le premier directeur de ce théâtre. Dans cette première période, l’accès a cet établissement était formellement interdit aux autochtones. Ce n’est qu en 1946 qu une troupe marocaine, du nom d’Association théâtrale d’El Jadida, a pu produire sur la scène du théâtre sa pièce intitulée « la Suppression d’El Amine », mise en scène par Driss Mseffer.

Un an plus tard, un groupe de juifs marocains résidant a El Jadida a présenté la pièce « le Fils d’Aâouicha », mise en scène par Haïm Nsaïm, ce dernier était coiffeur dans la cité portugaise. partir de 1950, le théâtre d’El Jadida a commencé a abriter plusieurs manifestations artistiques étrangères. Mais son animation n’a connu son intensification qu après la nomination de feu Mohammed Saïd Afifi en tant que directeur administratif et artistique du théâtre.

Grand succès

Cet établissement connut un grand succès avec les tournées « rituelles » des Amis du théâtre français, la troupe de la Maâmora, la chorale de la Tchétchénie, Jean Vilar, Serge Reggiani, Richard Burton, Elisabeth Taylor, Oliver Reed, Maher El Attar

partir de 1969, M. Afifi constitua une troupe théâtrale en faisant appel a de jeunes comédiens tels que feu Driss Semlali, feu Abdellah Neddam, Mustafa Saïkouk, Mohamed Edderham, Fatima Ezzaouia, Abdelkebir Inane, Abdelâaziz Chakir, Mohammed Ben Brahim, Mustafa Jelbi, Brahim Hachoumi, Abdelmajid Nejdi, Chakib Tounsi, Amina Niazi, feu Bouchaïb Belaâbar, Mohamed Berradi, Tarda Abdelkrim, Essaïhi, Lahrache, Rihani, Jeddad, Mazoze, Tayane, El Abdi et d’autres.

Abdelmajid Nejdi
Le Matin

Auteur/autrice