Mots et choses Amazighs de Doukkala et de Chaouia , N° 4.

La compréhension de certaines us, coutumes, expressions et mots usités chez les Doukkala, c’est comme pour l’étymologie de beaucoup de nom de choses, de toponymes et d’anthroponymes rencontrés dans la Chaouia et dans toutes les autres régions du Maroc : ils ne peuvent être bien expliqués et appréhendés sans faire recours a la Langue et Culture Amazighs, et sans le retour a l’histoire et a la civilisation millénaire du Maghreb.
Le long d’une courte série périodique de bref papiers, j essayerais d’apporter a titre d’exemples quelques cas dont le commun des jeunes Doukkalais se demande assurément sur leur signification

N° 4 – De Titt n’ffetre a Titt mellil *

Plus que les précédents, le dernier numéro de cette série a suscité une dizaine de commentaires entre encouragements pour continuer ; confirmations de l’intérêt d’aborder un tel sujet ; des rejets et des critiques du sens étymologique donné a certaines termes que j ai exposés, et aussi des demandes d’apporter plus de mots et de choses de ce genre.
Et je tiens a remercier tous ces lecteurs qui ont ainsi vivement répliqué et positivement réagi a cette ouverture de partage et d’échange sur notre plurielle culture combien est-elle profondément enracinée en nous même, que l’on est marocain multilingue, berbérophone ou seulement darijophone , (de Darija : l’arabe dialectale du Maroc).

Dans ce quatrième numéro, j ai choisi de parler de quelques uns des toponymes et des anthroponymes rencontrés aux bleds Doukkala et Chaouia et dont la signification s’explique plutôt a l’aide de l’Amazigh.

Et je commence par Doukkala, le nom même de cette importante région dans l’histoire du Maroc où on parlait encore le berbère longtemps après l’arrivée des tribus Arabes et la chute des Berghwata.
Dans son recueil lexical des mots amazighs dans l’Arabe marocaine Mohammed CHAFIQ, explique que Doukkala vient du terme DdouAkal ; mot amazigh composé de Ddou qui veut dire : Sous, et ça prend ici le sens de : Bas ; et Akal qui est la Terre en Tamazight. Ainsi le terme Doukkala signifie les Basses Terres, et ceci par opposition a Toug Akal qui a pour sens les hautes terres et d’où nous vient le nom de Toubkal, le fameux massif des monts Dren : le Haut Atlas, et dont le point culminent atteint les 4167 m.
Iben Khaldoune, atteste que les habitants d’origine de cette contré sont des descendants des Masmoda, l’une des trois grandes tribus Amazighes de l’Afrique du Nord. Les fiefs Doukkala s’étendaient du haute Atlas a l’atlantiques sur une large et évasée bande de terres fertiles, abondantes de riches végétations et de diverses faunes, et limitées entre les oueds OumRbii et le Tanesift. Ces territoires, divisé en deux : une partie en pleine et partie en montagnes et plateaux, engloberaient aujourd hui : l’haouz, Rhamna, Seraghna, Chichaoua, Abda, Hmar et le l’actuelle Doukkala avec ses huit tribus comme relevées au début du 20ième siècle, Voir image de la carte officielle ci-jointe.

– Tamsna, c’est l’ancien nom Amazigh de la Chaouia d’avant son arabisation . c’est toutes ces contrées qui de la montagne a l’océan se limitent entre les Oueds Bourgrag et l’OumRbii. Ce typique mot Tamsna, dont la signification nous reste encore équivoque, vient d’être réhabilité par l’Administration territoriale, et ce par la création tout près de Aïn Aatiq non loin de Rabat, d’une nouvelle ville moderne qui porte ce nom.
Tamsna était le fief des Berghwata, dont l’influence s’étendaient jusqu au dela du Doukkala. Cette importante entité politique, dont l’histoire nous reste mystérieuse et embrouillée, a durée plus de quatre siècles : du temps des Awrabid/Idrissid, jusqu aux Almohades qui sont parvenus a éradiquer leurs Emirs et Clercs et ainsi a mettre fin a leur doctrine religieuse.

– Chtouka de Doukkala, sont a l’origine est une fraction de la tribu des Achtouken qui existent toujours dans le Sud du Maroc. Eloignée de la pleine Souss, il y des siècles, ils se sont fait installées près d’Azmour sur le littoral a la rive droite d’OumRbii. A coté cette population, elle s’est ajoutée une partie des Regraga, (descendants aussi des Masmod), déportée des Chiadma par les Almohades pendant leurs lutes contre les Barghwata et leurs sympathisants.
Dans les documents anciens écrits par les lettrés de la région, le nom de cette tribu, Chtouka, des Doukkala, est plutôt transcrit Hachtouka, On retrouve ce H dans d’autres toponymes arabisés tel que Haskoura, nom donnée aussi autres fois a une région de Tadla. Sur le tronçon Casablanca-Eljadida de la national P8, existent des plaques d’indication routière portant l’inscription Tnin-Hachtouka. Il s’agit bien de cet important Souk hebdomadaire devenu aujourd hui une agglomération rurale et administrative, et qui était aussi dans le passé un centre commercial des Chtouka et des Chiadma de Doukkala.
Achtouk est aussi un patronyme répondu, dont celui de Said Achtouk le célèbre poète et chanteur Amazigh du 20° siècle.

– Oued Merezg, nom composé de Oued ; mot arabe qui a le sens de cours d’eau, et de Amerzoug ; du verbe Amazigh Irzeg qui signifie être Amère, ou le contraire de ce qui est Doux. La partie rugueuse et rocheuse de la corniche de Casablanca porte aussi le nom Meriziga. Ce terme n’est-il pas aussi le diminutif du mot Merzouga ? Nom d’une région aride près d’Arfoud dans le Tafilalt ?! Située a l’entrée de Erg Chebbi, cette région difficile a traverser ne semblait pas avoir inspiré quelques choses de doux a nos anciens !! l’état topographique de tous ces lieux est certes traduit par ces toponymes dont le sens exprime la sensation d’amertume et le manque de douceur qu ils donnent aux visiteurs.
Et comme patronyme de cette famille de mots, on site celui de Sidi Mohamed Ben Merzoug dont la Zaouia se trouve au bord de Oued Tansift.

– Titt Mellil, et Titt n’ffetre, Ces deux termes sont composés du mot Amazigh Titt qui signifie l’œil, et aussi la source d’eau. On retrouve effectivement ce Titt traduit par le mot arabe Aïn dans beaucoup de toponymes a moitié arabisés comme Aïn Asserdoum au Maroc, et Ain Tifrit en Algérie.
Le pluriel de Titt est Tittawine, les sources, c’est le toponyme d’une importante ville en Tunisie, et aussi celui de l’une des métropoles du Nord marocain dite maintenant Tittwane ou Titouan en espagnole. d’autres lieux portaient ce toponyme Tittawine, et qui a été traduit en arabe comme : Aayoune Sagya Lhamra au Sahara, et Laayoune de l’oriental a coté de la ville de Oujda.
Tout près d’Eljadida, se trouve Titt n’ffettre, un des plus importants Ribat du Maghreb et aussi un lieu historique. Il s’agit la de cette localité appelée au nom du Saint Moulay Abdallah Amaghar, où se tient en été un important Moussem qui rassemble chaque année plusieurs tribus de diverses régions du Maroc. A ce passage je rappelle qu Amaghar en Amazigh veut dire Chef, équivalent du mots arabes Raïs et/ou Cheikh.
Titt mellil qui signifie : la source blanche, est le nom d’une importante localité rurale non loin de Aïn Harouda, une autre agglomération sur le territoire des Zenata de la région de Casablanca. Harouda vient de Tahroudt, féminin de Ahroud mot Amazigh qui signifie un clochard. Et d’après Ssî Mohamed CHAFIQ, ahroud est un terme du parlé Zenat et a l’origine il n’avait rien de péjoratif car il désigne aussi un garçon tout simplement, comme c’est encore le cas chez les Aït Waraine, dans la région de Taza.
A Doukkala, il y a aussi des femmes qui portent Itt» comme prénom. Ce mot est composé de îtt ; amplification de Titt, et de » suffixe qu on retrouve dans plusieurs prénoms Amazighs, ou berbérisés, tel que : Haddou Ghann», Ech», Ham», Aab», Qass», Kiss»,…. Nous pouvons avancer avec peu d’incertitude que Itt» signifie : Source abondante. Et nous pouvons dire qu on appelait certainement ainsi une femme en signe de fécondité, de fertilité et d’abondance. Cette interprétation reste tout de même a approfondir et a confirmer par des linguistes.

– Mazagan, c’est l’ancienne appellation de la ville d’Eljadida, et qui n’est qu une altération du mot Mazighan ; terme incontestablement Amazigh, et qui est ainsi attesté par le célèbre Géographe marocain Al-Idrissi, (12ème siècle). A ce propos, je ne trouve pas plus simple que de vous proposer de lire un condensée d’histoire dans l’intéressant article de Ssî Aboulkacem CHEBRI, (Conservateur du Patrimoine Principal au Ministère de la culture, El jadida), titré : «De MAZAGAN a AL-JADIDA » et publié récemment sur le site www.eljadida.com , rubrique Société. Et d’où, pour vous rapprocher du contenu, j apporte ces citations : « De cette appellation, des chercheurs ont sinistrement voulu attribuer et le nom et la construction a l’oeuvre des Portugais, ce qui est linguistiquement et historiquement erroné. Mazighan, nom d’origine berbère est une construction locale fondée des siècles avant l’arrivée des Portugais. ». Et plus loin dans ce même papier Ssî Aboulkacem nous dit aussi : « Au cours des années vingt du 19ème siècle, le Sultan Moulay Abderrahmane ibn Hicham (1822-1859) ordonne a son Pacha de la région de reconstruire les bâtiments délabrés, d’élever une mosquée et de repeupler la cité portugaise. On interdit de prononcer le nom de Mazagan que l’on nomme désormais Al-Jadida, la Neuve ou la Nouvelle. »,.
Le mot Mazaghan a été réhabilité cette année en le donnant comme Nom a la merveilleuse station touristique qui vient de voir le jour dans la forêt de l’Haouzia entre Eljadida et Azmour, mais hélas avec sa transcription a leuropéens : Mazagan !

– Anfa, est l’ancien nom de la ville de Casablanca, et plutôt de l’important port de la Chaouia. Le mot Anfa vient de anafa qui en amazigh désigne le sommet un lieu en élévation et rayonnant sur ses environs. En effet, l’importante colline qui dominant l’océan et l’arrière pays de la ville porte toujours ce nom. Et sur cette élévation se trouve le plus chic des riches quartiers résidentiels de Casablanca. A coté de Fedala, Anfa était l’un des principaux ports de Tamsna au temps de Barghwata. Et aussi avant ces derniers il était un important comptoir d’échanges très fréquenté par les marins étrangers des pays du Nord et l’Est de la méditerranée.

– Azemmour, est le nom Amazigh de l’olivier sauvage, ce qu on appel aussi Zebouje en darija. Suivant cette approche s’explique le nom de Khemiss Zemmamera : important centre rural des Doukkala. Et aussi il se trouve dans la région de Rabat et Kénitra la tribu Amazigh de Zemmour (ou Izemmouren). Et on retrouve près de Taroudant : Tazemmourt, une localité aussi chargée d’histoire, où les Saadiens avaient édifié une de leurs importantes raffineries de sucre.
La ville d’Azemmour, est un millénaire Chef-lieux de Doukkala. Quelques siècles auparavant c’était encore une place fortifiée et un comptoir d’échange international, qui avait son importance économique et militaire pour la région.

– Safi ou Asafi, mot d’origine Amazigh composé de Asif qui désigne un cours d’eau et ffi qui veut dire déverser, et ensemble ça signifie l’embouchure. c’est ainsi le nom de cette métropole des Abda » Hmar, ville dont l’histoire est aussi riche a relire que celle d’Eljadida. A la fin du 15° et du début du 16° siècle, Asafi était aussi la capitale d’une principauté gouvernée par l’original hors genre Caïd/Prince Yahya Outafouft qui était tantôt indépendant et en rivalité a la fois avec les Rois de Fès et les Saâdiens, Rois de Marrakech et Taroudant, et tantôt sous la dominance des Portugais lorsqu ils ont investi la ville et pour lesquels il est devenu le principal allié et dévoué serviteur.

– Ghbiyla, arabisation du mot Taghbalout, dimiunitif de Aghbalou, autre mot, qui en Amazigh signifie source d’eau.
A Casablanca, on appelait Ghbiyla, l’endroit qu on pourait situer aujourd hui entre les quartiers de Ain Borja et l’ancien domaine des BenM sik. Je n’ai pas pu encore localisé le lieu de cette supposée source, ni autre information a son propos.

– Settat, ce mot vient de Azettat, qui signifie en Amazigh le passeur et protecteur des caravanes et des voyageurs lors de leur traversée dans territoire et/ou le passage de ses limites. Il a aussi la signification de la capacité de se prendre en charge ou de se charger d’une affaire ou de quelqu un. Settat se situe en effet dans un passage obligé pour les caravanes entre Anfa/Fedala et Marrakech.

– Bouskoura, a quelques 18 Km au Sud de Casablanca, se trouve cette localité, son nom vient du mot Amazigh Askour, qui signifie la Perdrix. Bou est un préfix, d’origine arabe, qui en Amazigh signifie celui de ou celui qui a . Le nom de ce lieu de la Chaouia rappelle a son évocation celui de Skkoura (de Ttaskkourt, féminin de Askour), un autre lieu magnifique de la vallée du Dadès dans la région de Ouarzazat, et son immense palmeraie constellée de belles kasbahs et de fabuleux Ksour. Bouskoura est connue par sa grande forêt, seul échangeur d’air de Casablanca en dégradation ces dernières années !!?!

La liste ici n’est pas exhaustive, elle serait plus enrichie par la suite, et je me limite pour cette fois a ces quelques exemples parmi les plus connus et attestés, en laissant l’occasion a vous aussi chers lectures de nous apporter et de nous proposer d’autres mots, et/ou d’autres choses Amazighs de Doukkala et de la Chaouia.

A suivre.

Abdelghani EL KHALDI
Eljadida.com

Auteur/autrice