Portraits d’artistes (1) : Zoubir

La terre doukkalie a toujours été une mère nourricière, riche en blé mais aussi en talents . Quelques uns de ses fils et de ses filles, hommes politiques, artistes, écrivains sortis de ses sillons, ont honoré le fronton de sa mémoire, et laissé leurs traces en lettre majuscule dans l’histoire du Royaume. Beaucoup d’entre eux ont emprunté les chemins merveilleux qui conduisent a l’Art.

Or, comment promouvoir l’art et la culture d’origine doukkalie a travers le Maroc mais aussi au dela ses frontières, sinon en utilisant la Toile qui permet, par un simple clic, de mieux connaître la vie et l’œuvre de ceux-la même qui ont donné aux Doukkala leurs plus belles lettres de noblesse. Ces toiles sur lesquelles s’expriment ces artistes rejoindront ainsi la grande Toile universelle d’Internet.

c’est donc une immense galerie d’art que nous ouvrons aujourd hui, en réservant aux peintres, mais aussi aux sculpteurs, aux artistes doukkalis, si nombreux dans la province d’El Jadida, la possibilité de présenter eux-mêmes leurs œuvres, au travers d’interviews réalisées sur les lieux de leur création, dans leur décor quotidien, lors de rencontres amicales mais ambitieuses.

Nous ouvrirons cet album par le peintre Zoubir, l’un des piliers actuels de la peinture doukkalie. Et si nous commençons par lui, c’est pour des raisons d’actualité puisqu il expose a la Galerie 104, avenue Mohamed V, a El Jadida. Pratiquement la seule galerie privée de la capitale des Doukkala, tenue depuis de nombreuses années par Mme Nicole Sellier. Les amateurs peuvent y contempler de visu, les dernières œuvres de ce peintre a la sensibilité toute particulière qu on lit déja sur son visage empreint de grande douceur, coloré d’une légère barbe grise.

L’atelier de Zoubir domine la Cité portugaise. c’est cette haute bâtisse que l’on voit face au bastion Saint- Sébastien, couronnée d’un fronton semi-circulaire orné d’une volute et d’une étoile a 6 branches Le Palais de l’Inquisition ,une ancienne synagogue,l ancienne église Saint Sébastien? Zoubir travaille donc dans cet espace privilégié, au milieu de ses toiles, ses pinceaux et ses pots de peinture, entre la mer, le ciel et les toits de la Cité.

Né a Salé en 1954, Najeb Zoubir passe son adolescence entre sa ville natale et El Jadida où travaillait sa famille. Très vite attiré par la peinture, il s’inscrit en 1976 a l’Ecole des Beaux Arts de Tétouan, dirigée a l’époque par son fondateur, un peintre espagnol de grand renom, Bertotchi ; puis, son bac en poche, il part en 1979 pour Bruxelles où il termine ses études supérieures a l’Académie Royale des Beaux Arts. Diplômé de dessin, et d’Arts graphiques, il rentre a El Jadida en 1982 et il y présente presque aussitôt sa première exposition au Théâtre municipal. En 1985, le ministre de la Culture d’alors l’appelle a son cabinet où, jusqu en 1990, il est conseiller pour tout ce qui est peinture, graphisme, affiche, etc. Une période fructueuse pour lui, dit-il, car cela lui a permis d’effectuer de nombreux voyages a l’étranger et de voir beaucoup d’expositions et d’œuvres d’art: En Union soviétique, en Allemagne, au Japon, en France, en Jordanie, en Syrie et Egypte Mais cela ne lui laissait guère le temps de manier ses pinceaux En 1990, il retrouve El Jadida et depuis, il se consacre a sa peinture. Après une grande exposition a Casablanca l’an dernier, il en prépare une autre pour une galerie réputée de Tanger, qui se tiendra pour un mois a partir du 28 Mars 2008

Je l’ai donc rencontré dans son immense atelier, par un samedi ensoleillé, pour une conversation faite d’amitié et de confiance en m excusant d’avoir rompu quelques instants le silence de son œuvre :

Michel Amengual : Les voies qui mènent a l’art sont multiples et variées et souvent mystérieuses. Certains artistes s’expriment par la musique, d’autres par la sculpture, la poésie, etc Vous, vous avez choisi la peinture.

Zoubir : Ce mode d’expression m est venu presque naturellement. Il faut dire que j ai grandi dans une famille d’artistes. Mon père était musicien, mon oncle écrivain et poète, un autre oncle était potier ; je crois d’ailleurs que ma vocation de peintre est née au contact de cet oncle. Car a ses côtés, il y avait des dessinateurs, des peintres, et j étais fasciné par leur travail. Pendant 5 ans, durant mes vacances scolaires, je venais régulièrement leur tenir compagnie ; cela m intéressait beaucoup car je voulais moi aussi devenir peintre. c’est ainsi que je me suis inscrit a l’Ecole des Beaux Arts de Tétouan, où j ai passé trois ans et obtenu du baccalauréat. Apprentissage du dessin, de la peinture ! J ai alors décidé de m orienter vers la peinture ; Mes parents étaient un peu réticents : « Est-ce que je vais pouvoir vivre de mon art ? » me demandaient-ils ; « c’est un métier difficile et ingrat ! » Pour calmer leur crainte, je leur ai promis que je ferai de la peinture comme un passe-temps mais je continuerai mes études supérieures pour devenir professeur ; j ai donc passé mes examens,la peinture est venue après , comme ça comme un besoin irrésistible !
Mais la peinture, ce n’est pas une voie facile ; c’est un autre monde. On peut vivre en étant musicien, on peut travailler avec un orchestre, donner des soirées. Dans la peinture au contraire, on travaille tout seul ; et si l’on ne travaille pas, et si l’on ne vend pas, on ne peut guère subvenir a ses propres besoins. Il faut travailler de nombreuses années, parfois 20 ou 30 ans, quotidiennement, avant de recueillir le fruit de son labeur. c’est ainsi que je suis devenu peintre. Une autre destinée m attendait.

Vous avez opté pour la voie difficile de l’Art abstrait. Pourquoi ? Une façon de transposer, de transfigurer la réalité ? ou l’appel vers un univers inaccessible ?

Vous savez, au Maroc, il n’y a pas de culture artistique. En Europe, par exemple, un père emmènera son enfant voir des expositions, visiter des musées, etc Ici, cette culture de l’art n’existe pas. Quand j étais a l’Ecole des Beaux Arts de Tétouan, je faisais de la peinture figurative ; je peignais des portraits, des objets, etc Maintenant, je suis arrivé a l’abstraction. Mais ce n’est pas tout a fait de la peinture abstraite, car derrière chacune de mes oeuvres, vous pouvez apercevoir des silhouettes, des gestes, des objets. Des formes apparaissent, qui incitent le visiteur a s’approcher de la peinture pour mieux la pénétrer, pour mieux communiquer avec le peintre.
Mais depuis 30 ans, depuis mon retour de Bruxelles, j ai vécu diverses périodes, j ai essayé divers styles, pour aboutir a ce que je fais aujourd hui, où je m approche de l’abstraction sans pour autant quitter la forme.

Quand on examine l’ensemble de votre œuvre, on devine des périodes : tantôt vous avez travaillé sur la transparence du verre, tantôt sur le corps humain, tantôt sur des visages, etc.

Oui, au début, je travaillais sur des portraits, sur des personnages, juste avec un crayon. Je jouais avec les contrastes du noir et du blanc. Et puis j ai commencé a intégrer la couleur. J ai travaillé sur le corps, sa forme, et j utilisais surtout le fauve. Mais aussi, la lumière adoucie qui pénètre dans mon atelier par les portes et les fenêtres, m a sans doute influencé. Dans ce que je peins actuellement, il y a une certaine transparence. Les corps que je peins aujourd hui ne sont pas les mêmes que ceux que je peignais il y a 10 ou 15 ans. Et cette évolution est due a un travail quotidien.

Vous avez exposé souvent, avec des styles différents, on vient de l’évoquer. Sauf que l’on reconnaît tout de suite que c’est du ZoubirA quoi est due votre marque de fabrique, votre empreinte ?

Je travaille sur deux plans en même temps : Prenons un verre par exemple qui est un objet de la vie quotidienne. c’est cependant un objet très complexe. Il y a la forme du verre, d’abord, mais il y a aussi la transparence de la matière. Le verre devient pour moi comme une palette, une gamme de couleurs ; mais a y regarder de plus près, on devine un verre au travers de ces couleurs. Il en est de même pour le corps humain lorsque je le peins. Et si vous regardez ces corps et ces verres, vous y retrouvez les mêmes taches et la même façon de déposer la peinture sur la toile. Une certaine continuité entre les œuvres pourtant différentes. Un rapport,un lien entre les deux tableaux. c’est sans doute cela ce que vous appelez du Zoubir.

Dans la musique, le chant, le théâtre, le spectateur est la, qui écoute, voire qui applaudit. Avec la peinture, c’est un peu le monde du silence : Je viens, je regarde, je m en vais l’émotion est différente. Comment mesurez-vous votre public ?

La peinture est un monde différent. La musique peut se faire en groupe ; l’artiste peintre lui est seul et il recherche cette solitude, ce calme dont il a besoin pour son inspiration et sa réflexion. Mais en même temps, il travaille pour les autres. Je peins pour moi, mais aussi pour les autres ; et les peintres recherchent ce calme et c’est pourquoi leurs ateliers sont installés souvent a la campagne ou loin du bruit.

Justement, votre atelier se trouve dans cet endroit magique qu est la Cité portugaise, un lieu chargé d’histoire, avec pour horizon, l’océan.
c’est une chance ? Une source d’inspiration ? Si votre atelier était ailleurs, auriez-vous fait la même peinture ?

Ici, c’est évidemment une autre atmosphère ! c’est la raison pour laquelle le travail que je faisais en 1998 n’est pas le même que celui d’aujourd hui. Le cadre est différent, la lumière, l’horizon, le silence, les arcades qui peuplent mon ateliertout ça joue dans mon inspiration et ma peinture. La Cité portugaise inspire forcément tout visiteur car elle est la depuis des siècles. Alors, moi qui y passe des journées entières, c’est un enchantement permanent !

Est-ce qu il y a un message qui se cache derrière votre peinture ?

Vous savez, quoiqu on fasse, il y a toujours un message. Mais ce message est inconscient, car l’artiste a toujours un objectif mais peut-il le définir lui-même ? Un écrivain peut parler de son œuvre. Vous trouverez rarement un peintre qui commente sa peinture. Des critiques d’art peuvent le faire, mais pour le peintre, c’est plus difficile. Si quelqu un me demande d’expliquer un tableau que j ai réalisé il y a deux ans, comment voulez-vous que je puisse lui restituer les émotions que j éprouvais a ce moment-la ? d’autre part, si un de mes tableaux peint sur papier plait a une personne qui me demande de le lui refaire sur toile, je m y refuse. Je suis un artiste, qui travaille avec ses émotions, et elles ne sont pas reproductibles sur commande

Et si vous étiez a ma place, quelle question vous auriez-vous posée pour clore cette rencontre ?

Je ne pose pas de questions, mais voici la réponse que je tiens a faire : Je vous félicite pour cette initiative. Qu un étranger fasse ce que vous faites pour notre ville ! Personne ne l’a fait avant vous ! Vous aimez cette ville comme si elle était votre ville natale

J ai coupé le magnétophone ; mon émotion était trop forte… « Je persiste et je signe » ajouta-t-il en insistant pour que ses propos soient retranscrits Je ne m attendais pas a cette réponse qui fut plus longue, certes mais le compliment est surtout a faire a Zoubir, l’un des maîtres de la peinture Doukkalie

Michel Amengual
Eljadida.com

Auteur/autrice