T voir ta G… a la récr !

Nous gardons tous dans le cœur des souvenirs tendres et émus de nos « récrés » a l’école publique des garçons de Mazagan. Pendant cet espace de semi-liberté, des jeux variés, parfois originaux ou même complètement limites nous permettaient de découvrir les autres en nous mesurant et ainsi, faire notre place dans cette petite société.

Rappelez-vous pour commencer, les traditionnelles parties de billes avec tout un vocabulaire spécifique : « ketch, main haute, main basse, palme etc. » Dès la sonnerie, nous nous précipitions comme une nuée de moineaux dans la cour en terre ombragée d’eucalyptus bien feuillus ; les parties s’organisaient très vite, en solo ou avec partenaire. La plus populaire était « le pot en 10 points ». Dans notre sac fermé par un lacet, nous gardions tout un échantillonnage pour le troc. Les billes en argile cuite peintes étaient méprisées au profit des agates artistiquement colorées dans leur transparence. Nous réservions les plus usées pour les gains des adversaires Nous utilisions plus rarement les billes de roulement en acier. Les virtuoses étonnaient la galerie par des frappes de loin, redoutables de précision.

Ma mémoire me fait défaut pour situer précisément ces jeux dans la chronologie d’une année. Après les osselets, les toupies, les baguettes de bambou, les avions et les fusées en papier, rien de véritablement original jusqu a l’arrivée de la saison des abricots. Souvenez-vous de l’inventivité déployée par chacun d’entre nous pour constituer son trésor de guerre. Le noyau d’abricot devenait la monnaie étalon ! Avec un modeste capital de départ, nous pouvions espérer nous enrichir en participant comme marchand ou client, dans la cour transformée en véritable souk. ! l’échoppe de base consistait en un unique noyau, placé a terre au milieu d’un petit cercle, a quelques mètres d’une ligne. Une fois prêt, le propriétaire de l’étal annonçait bien fort a la cantonade « a qui tire gagne cinq noyaux ! » Cette règle simplissime consistait pour le joueur intéressé a tenter de dégager la cible du cercle, par le jet de ses propres munitions. Plus élaborée était la boutique constituée d’un carton décoré et percé de fenêtres plus ou moins grandes, posé au sol contre un mur. Les gains proportionnels a la petitesse de l’ouverture récompensaient les plus adroits, toujours en monnaie d’abricot.

Bien évidement, les noyaux des lancers manqués revenaient au propriétaire du fond de commerce. Certains d’entres nous se promenaient dans la foule, a la recherche de parieurs acceptant de miser sur les numéros d’une petite roue de la fortune, tournant au sommet d’un bouchon. Ce divertissement prenait soudainement fin, avec l’inévitable inflation provoquée par le pic de la saison des agrumes. Les commerçants prospères étaient catastrophés quand les flambeurs brisaient brutalement le marché en criant : « a tire cheveux », tout en lançant au dessus de leur tête de pleines poignées de cette monnaie si recherchée la veille ! Nulle part je n’ai connu l’existence d’un tel jeu. Existe-t-il encore aujourd hui ? Sinon quand a-t-il disparu ?

Au printemps, dès la pousse des nouvelles feuilles de m»riers, un marché lucratif de courte durée s’organisait : le ver a soie. Nous les élevions a peine éclos, en les gavant des feuilles les plus tendres. Nous les apportions a l’école dans des boîtes en carton pour les troquer ou les vendre. Nous apprenions, sur le tas, tout le cycle de l’élevage : du minuscule œuf collé sur le support cartonné donnant un petit ver affamé a la parure tigrée, jusqu au cocon de soie tissé avec délicatesse par une grosse chenille immaculée. Elle se transformait en chrysalide figée comme une momie. La dernière étape de la métamorphose donnait un papillon blanc bien dodu, incapable de décoller. Il sortait par une extrémité de son œuvre d’art pour déployer et sécher ses ailes inutiles. Les lépidoptères s’accouplaient frénétiquement. Les mâles mouraient aussitôt après l’extase, suivis par les femelles une fois leur ponte achevée. Nous devenions incollables sur le bombyx du m»rier sans passer par la case « leçon de sciences-nat ».

En fin d’année, quand la discipline générale de l’école devenait plus relâchée, les grands organisaient de folles parties interdites de « tchicha la fava » (en phonétique !) Un volontaire, plaqué dos au mur, matérialisait le début d’une colonne de 6 a 8 joueurs immobiles courbés les uns derrière les autres se tenant aux hanches la tête bien protégée contre la ceinture du précédent. Les joueurs de l’équipe adverse s’élançaient a tour de rôle en hurlant « tchicha la fava j arrive », pour atterrir le plus loin et surtout le plus lourdement possible sur les malheureux. Une fois tous les sauteurs agrippés les uns aux autres en une masse compacte, les spectateurs présents commençaient a compter. La surcharge de poids intentionnelle sur les points faibles, faisait souvent crouler l’ensemble avant le chiffre fatidique de 10. Puis le changement de rôle permettait d’espérer une revanche.

Cette distraction périlleuse et bruyante s’organisait toujours dans l’urgence, de façon opportuniste, pour être immanquablement repérée puis stoppée par le maître de service. Après l’entrée en sixième, nos jeux, d’une toute autre nature, perdront de leur naïveté !…

Pierrot LARUE ( Mazagan de 49 58)
Eljadida.com

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