Théâtre municipal d’El Jadida, un géant qui meurt

Personne ne peut nier que le Théâtre municipal d’El Jadida a joué un rôle primordial dans le développement du théâtre marocain. Cet établissement est aussi un joyau unique en son genre puisqu il a attiré d’éminents artistes vu son acoustique qui fut un certain temps l’une des plus perfectionnées du monde.

Ce géant en son genre, appelé autrefois «Salle des fêtes», a ouvert ses portes pour la première fois en 1925. Par contre, la pose de sa première pierre a été effectuée en 1920.

A ses débuts, il était réservé seulement aux soirées dansantes, aux bals masqués et aux festivités familiales. Ce n’est qu en 1930 qu il a été transformé en salle de théâtre sous forme d’opéra ayant 658 places dont 88 réservées aux 11 loges devant accueillir les grandes personnalités.

La première présentation théâtrale, qui s’intitulait « Le malade imaginaire », de Molière, a eu lieu le 15 juillet 1930. Elle a été montée par l’Association artistique de Mazagan dont le président a été aussi le premier directeur de ce théâtre.

Dans cette première période, l’accès a cet établissement a été formellement interdit aux autochtones, et ce n’est qu en 1946 qu une troupe marocaine du nom d’Association théâtrale d’El Jadida a pu produire sur la scène du théâtre sa pièce intitulée « La suppression d’El Amine », mise en scène par Driss Mseffer.
Un an plus tard, un groupe de juifs marocains résidant a El Jadida a présenté la pièce

«Le fils d’Aâouicha», mise en scène par Haim Nsaïm, ce dernier était coiffeur a El Jadida.

A partir de 1950, le théâtre d’El Jadida a commencé a abriter plusieurs manifestations artistiques étrangères ainsi que des stages de formation théâtrale et c’est aussi a cette période la qu il subit des transformations architecturales.

Mais l’animation n’a connu son intensification qu après l’indépendance, même si ce théâtre est resté sans directeur administratif ou artistique. c’était alors le comité des fêtes, constitué par la municipalité, qui s’occupait de la programmation des manifestations.

Plus tard, et suite a la nomination de Saïd Afifi, en tant que directeur administratif et artistique du théâtre, l’établissement connut un grand succès avec les tournées « rituelles » des Amis du théâtre français, la troupe de Maâmora, la chorale de la Tchétchénie, Serge Reggiani, Richard Burton, Elisabeth Taylor, Oliver Reed, Maher El Attar

A partir de 1969, M. Afifi constitua une troupe théâtrale en faisant appel a de jeunes comédiens tels que Driss Semlali, Abdellah Neddam, Saïkouk Mustafa, Mohammed Edderham, Fatima Ezzaouia, Inane Abdelkebir, Chakir Abdelaziz, Mohammed Benbrahim, Mustafa Jelbi, Bouchâïb Belaâbar, Mohammed Berradi, Tarda, Essaihi, Lahrache, Rihani, Amina Niazi, Jeddad, Mazoze, Tayane, Hachoumi Brahim, Abdelmajid Nejdi, Tounsi Chakir, El Abdi et autres.

Cette troupe monta de nombreuses pièces qui ont connu un grand succès, dont notamment «L Avare» de Molière, « Les fourberies de Jouha», « Le malade imaginaire», «Hamlet»,

«Essaouanih», de Driss Jaï, et « El Bouâzizi » d’après la pièce italienne « Le système Fabrizi », traitée par Abdelmajid Nejdi.

Après le départ de M. Afifi, le théâtre fut tour a tour régi par M. El Kadiri, Abderrahmane Elkhayyate, Amal Ahmed et autres. Et c’est a partir de 1984 que commença l’extraordinaire dégringolade du théâtre d’El Jadida, que ce soit au niveau de la qualité des spectacles qu a celui de la dégradation du monument en lui-même.

A partir de 1990, des voix commencèrent a s’élever pour inciter les responsables a sauvegarder cette merveille de la ville.
L’alerte a été déclenchée par Saïd Afifi et Taïeb Seddiki qui étaient conscients du danger qu encourt le théâtre.

D autres protestations suivirent par l’intermédiaire des associations locales telle Arouss Chawatie, dont l’intervention de son président lors d’une émission de Zhor Laghzaoui qui datait de 1991 et qui s’intitulait «La rencontre de l’après-midi», la grève de la faim, entamée par le jeune comédien du terroir Ahmed Jawad, le 27 mars 1994 devant le théâtre municipal, en signe de protestation, ainsi que les échos que la presse nationale a donnés a cet événement, qui ont finalement sensibilisé les responsables pour qu ils se rendent compte des dangers réels qui menacent le théâtre.

La pétition en 1996 de 100 intellectuels a fini par réveiller les consciences, ce qui a amené les décideurs a accorder l’attention qu il fallait a ce géant qui ne veut pas mourir.

Alors, les travaux de réhabilitation ont commencé le 11 juillet 1997 avec au début une enveloppe budgétaire de 3.375.000 DH. Et ce, grâce aux efforts considérables consentis par les services de la province d’El Jadida, avec a leur tête Ahmed Arafa, ex-gouverneur.

Le Théâtre municipal d’El Jadida s’est refait ainsi une nouvelle jouvence aux grands défis du temps et de l’ingratitude des hommes.

Mais ces derniers temps, un vent dévastateur a ravagé ce pauvre orphelin. Par conséquent, il ne donne plus cette allure majestueuse qu il avait reconquise. Le délabrement et la dilapidation semblent être sa destinée. Tout est devenu pure illusion. Que fait-on donc pour le sauver ? On applique tout simplement la politique du «maquillage»: passer de la chaux sur les façades et le tour est joué. Quelle honte!

Ce merveilleux temple de l’art d’expression théâtrale, qui a été conçu par l’architecte français A. Delaporte, restera a jamais vivant, malgré tout, dans les annales des «planches».

Jean Vilar et Youssef Ouahbi, entre autres, ont laissé un peu d’eux-mêmes dans ce lieu où s’effectue et s’effectuera toujours le culte de l’art théâtral.
Reste donc a le gérer et l’entretenir convenablement parce que les miracles ne se répètent pas.

Abdelmajid Nejdi
LE MATIN

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